Pavel
La leçon inaugurale de Thomas Pavel porte sur une posture particulière d'écoute littéraire. Il s'intéresse au lecteur ordinaire qui accueille l'oeuvre littéraire et fait ainsi acte de reconnaissance.
Thomas Pavel
Comment écouter la littérature ? Collège de France, Fayard, 2006.
La leçon inaugurale de Thomas Pavel, présentée le 06 / 04 / 2006 est consacrée à une posture particulière d’écoute littéraire.
Après avoir éliminé les différentes raisons objectives pour lesquelles on peut écouter la littérature, à savoir la recherche de traces historiques, biographiques ou rhétoriques, Thomas Pavel annonce que son propos est autre et qu’il cible son analyse sur le lecteur qui « s’abandonne » au texte par opposition au lecteur qui l’étudie. Ce sont là deux postures possibles.
Le chercheur définit ce qu’il entend par lecteur qui « s’abandonne » ; il s’agit d’un lecteur pour lequel la littérature n’est pas considérée comme un objet cognitif, mais un lecteur ordinaire, qui se laisse aller et ne lit pas les notes en bas de pages ou autres renvois. C’est celui qui, selon le théoricien de la fiction Jean-Marie Schaeffer auquel fait référence le professeur, adopte une posture d’immersion. Posture à portée de tous, selon Thomas Pavel, car le monde de la fiction est un monde humain : quel que soit l’univers proposé –empire romain dans le cas de Britannicus- n’importe quel lecteur peut s’y plonger, entrer dans le jeu.
Du fait de cet abandon, le lecteur sort de son univers quotidien, échappe à l’expérience vécue.
Thomas Pavel s’interroge alors sur la raison pour laquelle un lecteur ordinaire peut oublier son univers et s’immerger dans d’autres mondes possibles. La première réponse renvoie au statut du « je ». Trop souvent considéré comme un principe de certitude, et cela depuis Descartes, le « je » est, selon Bouvaresse auquel fait référence Thomas Pavel, incertain, hésitant. Il faut considérer que le « je » renvoie, à la fois, à un être contingent, déterminé et à une conscience de soi, immanente. En conséquence, le « je » n’est pas réductible à ce qu’il sait, il joue sa mise, à chaque instant. En particulier dans le rapport aux autres, le « je » participe aux activités, joue son rôle même s’il peut prendre ses distances, être en retrait provisoirement. Thomas Pavel cite le philosophe Gabriel Marcel pour lequel la participation au monde n’est pas facultative et qui affirme que « nous ne sommes pas au spectacle ». Les liens tissés avec autrui sont constitutifs de l’être : on est ce que l’on est grâce à autrui ; de même, les connaissances proviennent de l’examen du comportement d’autrui et non de l’examen de soi. Si les liens tissés offrent un angle de vue limité sur l’univers, reste au « je » la possibilité de s’évader lorsque le besoin s’en fait sentir. Les mondes de la fiction permettent au « je » de se séparer sans coupure radicale : ils proposent ce que Thomas Pavel appelle « une retraite imaginaire » hors du vécu quotidien. Cette évasion est salutaire parce qu’elle a lieu virtuellement ; elle permet alors une réflexion sur son propre univers : le monde de la fiction permet de réfléchir au monde vécu.
S’il admet que l’évasion comporte des dangers justifiant l’ambivalence de l’attitude à l’égard de la fiction, Thomas Pavel choisit de ne pas tenir compte de cet aspect nocif de la littérature –déjà condamné par Platon- et de s’intéresser à la littérature comme moyen de divertissement et d’enseignement. Si la littérature se maintient à une époque où les sciences transmettent des vérités, c’est parce qu’elle propose autre chose que des propositions vraies ou fausses. Reprenant l’exemple de Britannicus, Thomas Pavel s’interroge sur le but de la lecture : est-ce le décryptage d’un message ou l’identification à des personnages ? Il affirme que le processus d’identification s’explique par l’écart entre le « je » et son vécu ; c’est parce qu’il y a flexibilité qu’il y a résonance entre le « je » et les personnages d’un monde fictionnel. Thomas Pavel fait référence à Wayne Booth qui établit un parallèle entre les personnages des œuvres littéraires et les proches avec lesquels le « je » tisse des liens. Seulement, il ne s’agit pas là de conversation entre une œuvre et un lecteur, lequel écoute simplement, mais d’une conversation entre différents lecteurs, tous à l’écoute d’une même œuvre. S’appuyant encore une fois sur Britannicus, Thomas Pavel montre que le conflit entre deux libertés –celle de Junie et celle de Néron- concerne le « je » et sa place dans le monde ; et les propositions portant sur ce conflit ne sont pas réductibles aux valeurs de vérité à moins de « méconnaître » l’œuvre, expression qu’il emprunte à Gabriel Marcel et qu’il définit comme le fait de « ne pas reconnaître », de « trahir » l’œuvre. Il s’agit donc là de fidélité plus que de connaissance. Le lecteur qui s’abandonne à l’œuvre fait acte de reconnaissance, d’accueil. Le sens de l’œuvre littéraire est, selon Thomas Pavel, « remis à nos soins » ; ce qui signifie que la responsabilité du lecteur est engagée ainsi que sa faculté d’écoute. Il considère que reconnaître le sens d’une œuvre est facile car l’accueil et la fidélité sont des attitudes qui vont de soi. S’il ne néglige pas le fait que l’histoire littéraire peut aider à accueillir l’œuvre, Thomas Pavel affirme que celle-ci peut également faire écran. La force d’une œuvre réside, selon lui, dans « la transfiguration ostentatoire de l’humain », laquelle permet néanmoins au « je » de s’y reconnaître.
Thomas Pavel annonce ensuite le programme de ses cours, en particulier celui portant sur les différentes voies rendant possible l’écoute.
Compte rendu établi par Martine Marzloff, chargée de recherche, INRP