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Iser

Dans cet ouvrage théorique, Iser s'interroge sur l'effet du texte. Cette question se pose dans la perspective des conflits d'interprétation dus à la polysémie des textes.

Wolfgang Iser, L’acte de lecture Théorie de l’effet esthétique,

( Traduction : Evelyne Sznycer, 1976, 405 pages )

Compte rendu de lecture rédigé par Martine Marzloff, chargée de recherche, INRP.

Dans l’avant-propos à l’édition française, W. Iser souligne la double orientation de l’esthétique de la réception : l’effet et la réception. Il contextualise cette recherche par rapport aux problèmes relatifs aux conflits d’interprétation : selon lui,  il est nécessaire de s’interroger sur l’effet du texte et non sur sa signification ;  dans cette démarche, le couple message / signification est remplacé par le couple effet / réception. Le lecteur attend qu’un texte fasse sens, mais la polysémie du texte entraîne une perte au niveau des possibilités d’actualisation, c’est-à-dire qu’il y a une sélection orientée ; ainsi, l’interprétation du texte littéraire, axée sur l’esthétique de la réception, considère le texte comme une forme de communication.
Dans l’avant-propos à l’édition allemande, W. Iser insiste sur l’expérience que le texte fait vivre au lecteur. La théorie de l’effet est ancrée dans le texte et la théorie de la réception est ancrée dans le jugement historique du lecteur.

Première partie


W. Iser expose le problème en se référant à une nouvelle de Henry James, L’image dans le tapis. Dans cette nouvelle, l’interprétation du texte littéraire est considérée comme une recherche des interprétations cachées. La question posée  est celle de la signification du roman de Vereker ; deux perspectives sont envisagées : celle du sujet / narrateur et celle de Corvick. Dans la perspective du narrateur, il s’agit de résoudre une énigme ; cela présuppose, d’une part,  que l’auteur travestit le sens, qu’il garde pour lui, et d’autre part, que le lecteur dévoile le sens, qui peut être extrait du texte, puis explique la raison du travestissement. Vereker réfute cette démarche « archéologique » qui réduit le texte de fiction à une signification discursive. Cette position critique, dominante au XIXème siècle où l’on cherche des messages dans la littérature, est réfutée par Henry James ; le personnage de Corvick  renvoie à une perspective différente : la lecture du roman de Vereker est une expérience qui change la vie de Corvick, mais il ne peut communiquer le secret de cette expérience. La nouvelle de Henry James dénonce la faillite de toute explication.
W. Iser souligne la survivance des normes classiques d’interprétation qui réduisent les textes de fiction à une signification discursive ; or, même si un message perd  son actualité, le texte littéraire continue de parler. La métaphore de la diligence et du lecteur-voyageur permet à W. Iser d’expliquer ce qui se passe pendant la lecture-voyage  : différents points sont observés, mais le lecteur-voyageur ne peut revivre tous les moments du voyage ; même s’il est assidu, il  ne peut accéder à toute l’œuvre : sa prise de vue est mobile. C’est pourquoi une réflexion sur l’interprétation doit s’intéresser aux conditions de constitution de sens.
W. Iser  adopte ensuite une perspective centrée sur le lecteur car, à l’évidence, un texte n’a de sens que s’il est lu : Il est, certes, produit par un auteur, mais sa concrétisation est effectuée par le lecteur. En ce sens, l’œuvre littéraire est le processus par lequel le texte se constitue dans la conscience du lecteur. En conséquence, la question du sens d’un texte doit disparaître au profit de la question de l’effet qu’un texte provoque chez un lecteur ; la signification n’est pas préexistante, elle se construit pendant la lecture. Il ne s’agit plus, dès lors, de déchiffrer le sens, mais d’expliciter les potentiels de signification d’un texte ; l’expérience déclenchée par le texte permet un travail de reconstruction : les lecteurs adoptent des stratégies d’interprétation différentes, selon leurs propres valeurs.
Le risque de cette position théorique est le subjectivisme incontrôlé. Selon W. Iser, c’est là un faux problème car un texte peut susciter des émotions et des jugements différents. Le « lecteur idéal » est une fiction : tous les sens d’un texte ne se déploient pas en même temps ; les relectures offrent des changements et l’on pourrait retracer l’histoire des effets d’un texte. Chaque texte littéraire offre un rôle à différents lecteurs possibles : la structure du texte montre l’horizon de sens dans lequel viennent s’inscrire les différentes perspectives du texte.

Deuxième partie


Un texte est en rapport avec un système référentiel ; la question qui se pose alors est celle du rapport entre la réalité et la fiction, laquelle agit comme un relais entre le lecteur et la réalité communiquée, entre les signes du texte et celui qui les interprète. En tant qu’acte de parole (cf Austin, Searle), un texte ne se réduit pas à une séquence de propositions, mais varie en fonction des situations dans lesquelles elles sont émises. En ce sens, on peut dire que de nombreux contextes sont contenus dans un texte de fiction. W. Iser explique la position d’Austin qui distingue les énonciations constatives – jugées selon des critères de vérité, par rapport à des faits - des énonciations performatives –qui dépendent du contexte pragmatique et provoquent un changement dans la situation dans laquelle elles s’inscrivent- afin de montrer que les échecs de communication peuvent être dues au locuteur ou à l’allocutaire. C’est pourquoi Austin prend soin de distinguer l’acte locutoire, qui consiste à produire une phrase ayant un sens et une référence, l’acte illocutoire, qui consiste à informer et a une valeur conventionnelle et l’acte perlocutoire, qui consiste à dire quelque chose pour convaincre. La distinction entre les actes de parole recouvre celle établie entre l'énonciation constative et l'énonciation performative. Les actes de parole réussissent  quand le destinataire reconnaît et assume le rôle que le lecteur lui destine. Selon Austin, le discours de fiction est une énonciation performative : ce qui se donne à entendre ne recouvre jamais totalement ce qui se dit, de façon explicite ou implicite. Pour Austin, l’énonciation vise l’unicité, ne serait-ce que pour se porter garant de ce qui est dit ; mais le discours de fiction fonctionne différemment. Pour Austin et Searle, le discours de fiction est séparé du discours lié à l’action, même s’il ne reste pas sans effet ; il est chargé d’un potentiel d’action dû aux principaux constituants de l’acte de parole illocutoire qui éveille l’attention du lecteur. Le discours de fiction a, selon Austin et Searle, une structure linguistique proche de l’usage courant et une nature intentionnelle car il est proposé à la conscience d’un lecteur. Le texte de fiction intègre les composantes conventionnelles pour qu’il y ait connivence avec le lecteur, mais il les sélectionne ; de ce fait, il n’y a pas de correspondance homologique avec la réalité. W. Iser conclut son explication en disant que le texte de fiction est un « organisme vivant relié au lecteur » : il doit donc contenir des conventions, des procédures. Ainsi, W. Iser appelle « répertoire du texte » les éléments connus, antérieurs au texte qui renvoient à une réalité extra-esthétique (normes sociales…), mais qui, dans le texte se modifient car, détachés du contexte, ils construisent de nouvelles relations. Les éléments du répertoire perdent ainsi leur identité pour construire une individualité au texte, lequel n’est ni reflet (théorie de la représentation) ni écart (stylistique), mais interaction : le système de référence d’un texte fictionnel n’est pas neutre par rapport à une époque. W. Iser donne l’exemple de Sterne qui avec Tristam Shandy, fait découvrir les fondements de la connaissance humaine dans le système dominant de l’empirisme. W. Iser fait également remarquer que le répertoire intègre également des textes littéraires antérieurs qui vont se trouver dans un nouvel environnement.

Troisième partie

W. Iser consacre cette partie à la compréhension du texte. Il considère que la structure du texte et l’acte de lecture sont complémentaires, mais le texte ne s’imprime pas directement dans la conscience du lecteur : il est nécessaire que le texte intègre le répertoire social dans les comportements des lecteurs. De plus l’interaction n’est pas à sens unique - du texte au lecteur- car des éléments échappent au contrôle interne du texte : ce hiatus fonde la créativité de la réception. Pour W. Iser, « la lecture ne devient un plaisir que si la créativité entre en jeu, que si le texte nous offre une chance de mettre nos aptitudes à l’épreuve. » Le texte est à considérer comme « une partition musicale ». Cette position théorique suppose un lecteur ayant un point de vue mobile car le texte de fiction échappe à tout cadre de référence, par sélection d’éléments détachés du contexte pragmatique, et transcende le point de vue du lecteur. Selon W. Iser, il est, dès lors, plus intéressant de s’intéresser aux corrélations entre les phrases qu’aux mots car le texte de fiction ne dénote pas des objets empiriques, mais se construit au moyen  d’un ensemble de corrélations intentionnelles, lesquelles produisent « un monde présenté ». Chaque corrélation préfigure un horizon, correspond à certaines attentes et a un effet rétroactif sur ce qui a été lu précédemment. Le point de vue mobile du lecteur se déplace d’une perspective à l’autre : il y a une modification constante des contenus de mémoire et une complexification des attentes du lecteur. C’est cette activité de synthèse que W. Iser appelle lecture. W. Iser cite U. Eco qui définit le texte de fiction comme une proposition des structuration : pour le public, la vie est unifiée, cohérente ; or, elle ressemble plus à Ulysses qu’aux Trois Mousquetaires : « nous ne réussissons à nous remémorer la vie et à porter sur elle un jugement qu’en la repensant sur le modèle du roman bien fait. » On donne une cohérence formelle aux expériences de la vie. W. Iser pense que  « la formation  d’une configuration cohérente est la base indispensable à l’acte de compréhension en général et dépend des regroupements opérés par le lecteur. »
D’autre part, la lecture a une dimension temporelle : une relecture n’est jamais totalement identique à une première lecture ; c’est dans cette dimension temporelle que se constitue le sujet lisant : en construisant le sens, quelque chose arrive au lecteur.

Quatrième partie


 W. Iser consacre cette partie à l’interaction asymétrique entre le texte et le lecteur. Selon les théories psycho-sociales,  la contingence est le fondement constitutif de l’interaction : elle n’est pas la cause originelle des effets qui en résultent, mais provient de l’interaction elle-même. Selon la psychanalyse,  ce qui n’est pas donné - « un no-thing »-  fonde la constitution de relations interpersonnelles : même si nous avons l’expérience les uns des autres, nous ne savons pas de quelle façon les autres nous connaissent ; il y a échec de la relation si l’on se contente de combler le vide au moyen de ses propres projections. Le texte littéraire corrige les représentations du lecteur qui corrige lui-même ses propres projections : la communication entre le texte et le lecteur est positive seulement si elle est contrôlée.
Les « blancs » du texte soulignent qu’une jonction omise  doit être établie par le lecteur, qui se la représente librement : les « blancs » du texte mettent en suspens toute attente relative au texte et intensifient l’activité de l’imagination. W. Iser évoque les formalistes russes pour lesquels l’art est un processus de complication de la perception et une prolongation de la durée de l’observation : « le but de l’art, c’est de donner une sensation de l’objet, comme vision et non pas comme reconnaissance. » La complication renverse nos automatismes de perception. Les « blancs » conditionnent le rétablissement d’une continuité textuelle, sans contenu déterminé : en tant que « silences », ils ne sont « rien ». Se pose alors le problème de l’arbitraire subjectif pour combler les « blancs » ; ceux-ci confèrent une densité au texte fictionnel car ils situent tous les éléments du texte par rapport à un horizon non formulé : tout se passe comme si le texte se dédouble et sous-entend un autre texte, non formulé.









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