INSTITUT FRANÇAIS DE L'ÉDUCATION

Outils personnels
Vous êtes ici : Accueil » Ressources Littératie Ecriture Ecrits extra-scolaires

Ecrits extra-scolaires

Enquête menée par Marie-Claude Penloup auprès de collégiens sur les pratiques d'écriture d'ordre privé.

 

Marie-Claude Penloup, L’écriture extra-scolaire des collégiens des constats aux perspectives didactiques, ESF éditeur, 1999. (200 p.)

Compte-rendu de lecture établi par Martine Marzloff, chargée d'études.

Première partie : Enquête sur les pratiques d’écriture des collégiens.

Présentation de l’enquête

Partant du constat selon lequel l’enseignement de la production d’écrits s’effectue sans tenir compte de ce que les collégiens écrivent en dehors du cadre scolaire, Marie-Claude Penloup s’interroge sur les perspectives didactiques ouvertes par la prise en compte de ces pratiques scripturales.

Cet ouvrage se  fonde sur l’hypothèse que les écrits extra-scolaires peuvent être réinvestis dans les écrits scolaires. Son objectif de recherche se situe dans une perspective socio-constructiviste, centrée sur l’activité du sujet ; il s’agit de décrire les écrits extra-scolaires et de construire des propositions didactiques qui tiennent compte de ces écrits dans leur rapport aux écrits scolaires.

Résultats de l’enquête

Pour atteindre cet objectif, Marie-Claude Penloup effectue une enquête auprès de collégiens sur leurs pratiques scripturales privées. Elle analyse leurs déclarations, qu’elle distingue de leurs pratiques effectives. Selon cette enquête, ces écrits extra-scolaires sont nombreux et divers : des lettres, des listes, des chansons, des histoires drôles, des poèmes…sont copiés ou inventés. Les adolescents de 11 à 15 ans sont les plus prolifiques : le volume de production écrite décroît entre la sixième et la troisième ; les filles écrivent plus que les garçons, ce qui peut permet d’établir un lien entre l’écriture et la construction de l’identité sexuelle. De plus, les centres d’intérêt évoluent sur les quatre années du collège : les écritures réflexives augmentent au détriment des écritures narratives. Par ailleurs, l’enquête ne révèle pas de corrélation entre le niveau des résultats scolaires et les pratiques d’écriture extra-scolaire.

Selon l’enquête menée auprès de collégiens, si le critère de littérarité est exclu, la production d’écrits extra-scolaires est donc massive et variée contrairement à ce que révèlent des enquêtes centrées sur les écrits conformes aux normes artistiques.

Deuxième partie : Pratiques personnelles des collégiens

Prise en compte didactique des écrits privés.

Marie-Claude Penloup s’interroge sur la légitimité de la prise en compte des écrits d’ordre privé dans le champ scolaire.

D’un point de vue éthique, l’insularité de l’école est perçue comme une nécessité pour défendre les valeurs républicaines et laïques ; mais, selon Marie-Claude Penloup, ce mythe fondateur est un leurre car on ne peut mettre entre parenthèses les différences sociales et religieuses. Pour étayer son argumentation, elle fait référence aux recherches de Bourdieu et Passeron qui ont montré que l’échec scolaire est en rapport avec les catégories sociales ; l’effet de connivence sociale, qui échappe aux enseignants, joue un rôle majeur de discrimination : le français scolaire, partagé par un petit groupe social, stigmatise les autres. A partir de là, Marie-Claude Penloup choisit un autre positionnement.

D’un point de vue linguistique, le traitement de la variation langagière recoupe le champ sociologique. Pour Marie-Claude Penloup, la norme n’est pas linguistique, mais sociale ; les variations langagières dépendent des interactions sociales, et le jugement porté sur ces variations peut être valorisant ou stigmatisant. En conséquence, elle propose un autre positionnement didactique afin de montrer et d’interroger la pluralité des normes. Dans cette perspective, les écrits extra-scolaires, dont la langue s’éloigne de celle prônée par l’institution scolaire, peuvent être le moyen d’aborder et d’interroger les variations langagières.

D’un point de vue didactique, la confusion entre la notion d’écriture et la notion de littérature crée une insécurité scripturale chez les élèves. S’appuyant sur Michel Dabène qui parle de « continuum scriptural », Marie-Claude Penloup propose de ménager des transitions entre les diverses pratiques d’écriture afin d’interroger la définition même de la littérarité et de donner le goût d’écrire. Ainsi, les écrits extra-scolaires peuvent être une aide à l’apprentissage en aidant à penser l’écriture et en donnant du sens à l’écriture scolaire. S’appuyant sur les travaux d’Anne Rouxel qui montre qu’il existe une corrélation entre la réussite à une dissertation et la capacité à verbaliser sa démarche, Marie-Claude Penloup souligne l’importance des savoirs méta-réflexifs dans l’acquisition de compétences scripturales. Elle se situe ainsi dans la même perspective qu’Yves Reuter dont les travaux de recherche l’amènent à penser que, pour enseigner l’écriture, il faut enseigner à « penser l’écrire ».

La thèse selon laquelle les apprentissages méta-scripturaux jouent un rôle dans la construction de compétences scripturales soulève la question des activités réflexives à mettre en place. Michel Dabène souligne que toutes les activités réflexives ne se valent pas ; ainsi, la grammaire, qui devrait jouer ce rôle, est rarement soumise à interrogation. Or, Marie-Claude Penloup insiste sur la nécessité de provoquer la réflexion sur le langage ; son but étant de mesurer les effets métacognitifs de ce questionnement sur les écrits extra-scolaires.

Marie-Claude Penloup constate que les écrits extra-scolaires sont souvent invisibles aux yeux-mêmes des élèves qui les pratiquent ; en effet, la hiérarchisation des écrits fait qu’ils n’ont pas conscience de ces écrits, mêlés au quotidien et non verbalisés. D’après Marie-Claude Penloup, la découverte de ces pratiques d’écriture extra-scolaire est souvent reliée à celle de son identité. Cette prise de conscience de la part des élèves amène un questionnement sur leur investissement dans l’écriture ou sur les fonctions qu’ils attribuent à l’écriture.

Pour Marie-Claude Penloup, la dimension heuristique du questionnement sur les écrits extra-scolaires peut participer à la construction de savoirs métascripturaux. A partir de l’état des lieux, établi par C. Barré-de Miniac, qui montre qu’il y a une rupture entre « entre deux univers d’écriture totalement disjoints », Marie-Claude Penloup propose d’articuler les deux univers d’écriture. Son hypothèse se fonde sur l’idée selon laquelle l’implication de l’élève dépend de cette articulation entre les écrits scolaires et les écrits extra-scolaires. Ces derniers valorisent l’élève et lui permettent d’adhérer au savoir scolaire. De plus, ils donnent un ancrage à l’enseignement de la littérature en créant un continuum entre « ordinaire » et « littéraire » ; en reconnaissant la fonction poétique à l’œuvre dans leurs écrits, ils peuvent faire un lien entre leur propre trajet d’écriture et celui de l’écrivain.

Ecritures de l’intimité

Les résultats de l’enquête menée par Marie-Claude Penloup montre que les écritures de soi sont très courantes chez les adolescents, et sexuellement marquées. Elle s’appuie sur les travaux de B. Lahire qui explique ce phénomène d’intériorisation par le rôle traditionnellement donné à la femme, chargée de la mémoire familiale et de l’écriture du quotidien.

Marie-Claude Penloup souligne que, dans les discours sur les pratiques, l’écriture apparaît comme une affaire de femmes. Elle note que l’écriture de soi est précoce : si les élèves disent commencer vers l’âge de six ans, le point culminant est atteint vers dix ans, soit l’âge de la capacité à dissimuler un secret, première forme de l’intériorité cachée. Elle fait remarquer que dans  les écoles Freinet, c’est à cet âge que le « je » est mis en scène dans des fictions.

Selon l’enquête menée par Marie-Claude Penloup, on note des variations dans l’habitude d’écrire : ainsi, en 5ème et en 4ème, il y a un passage à vide ; ce n’est qu’un 3ème que s’effectue la reprise du journal intime, avec toutefois un abandon assez net chez les garçons.

Marie-Claude Penloup s’est également interrogée sur les déclencheurs de l’écriture intime. Elle note l’importance cruciale de l’objet-même du support d’écriture ou des instruments y afférant ; en ce sens, l’absence d’objets d’écriture de type masculin est, pour elle, significative de blocage social à l’égard de l’écriture de soi chez les garçons. Dans les pratiques observées, le journal, en tant qu’objet, apparaît comme un « journal-herbier », selon l’expression qu’elle reprend à P. Lejeune ; le plaisir d’écrire est lié à une recherche formelle et matérielle, ce dont ne tient pas compte la standardisation des supports dans le cadre de l’école.

En ce qui concerne le destinataire du journal, Marie-Claude Penloup souligne le jeu pratiqué dans les journaux intimes qui consiste à montrer et à cacher à la fois : le secret est plus ou moins partagé avec quelques initiés. S’ils convoquent le regard d’un lecteur, c’est que le besoin d’un destinataire, alter ego ou adulte référent, correspond à un exhibitionnisme constructif de la personnalité.

A partir de là, Marie-Claude Penloup ouvre quelques perspectives didactiques. Elle propose d’accorder une place et un statut à l’écriture de soi à l’école. Elle fait remarquer que les Instructions officielles de 1995 considéraient l’écriture comme un outil de structuration de la personne. Par ailleurs, elle souligne que dans les œuvres de littérature destinée à la jeunesse comme dans les manuels, les récits de vie sont nombreux. Afin de favoriser l’émergence d’une parole personnelle, elle propose de mettre en place des ateliers d’écriture dans lesquels les élèves rédigeront leur autobiographie à partir de souvenirs, d’interviews sur les origines... Par exemple, il est possible de faire écrire à la manière de Perros : l’écriture de Papiers collés offre une similitude avec la pratique spontanée des élèves à la fragmentation. Cela peut être le point de départ d’une interrogation sur le genre autobiographique.

L’institutionnalisation de la pratique de l’écriture de soi dans cadre scolaire soulève, selon Marie-Claude Penloup, la question déontologique des limites et de l’évaluation.

Listes

Marie-Claude Penloup s’intéresse aux listes écrites par les élèves hors du cadre scolaire ; son enquête révèle une pratique intensive et diversifiée : tout est matière à listes. C’est pourquoi elle cherche des critères pertinents pour établir une typologie. Selon elle, l’utilité ou la non-utilité de la liste n’est pas un critère opératoire : J. Goody affirme que l’intérêt pratique est plus ou moins immédiat et Searle, quant à lui, distingue des listes à dominante descriptive visant à engranger le réel et des listes prospectives visant à le modeler. La mise en listes correspond à une lecture du monde ; elle trie, hiérarchise et , de ce fait, met de l’ordre dans le monde. Dans le domaine littéraire, les listes correspondent à la jubilation de nommer ; les œuvres-listes visent à modifier le régime habituel de lecture et à couper court au lyrisme.

Comme J. Ricardou l’avait déjà proposé (Pratiques n°20, 1978), remarque Marie-Claude Penloup, elle propose de faire écrire et lire des listes ; cela permet de combiner l’axe paradigmatique et l’axe syntagmatique, de tisser ensemble le signifiant et le signifié.

Marie-Claude Penloup s’appuie sur les  travaux de J. Goody pour comprendre la fonction cognitive de la liste. Selon ce chercheur, ce n’est pas seulement une présentation du savoir, mais une « matrice formelle » qui modifie ce savoir et impose un mode de pensée. La liste permet des opérations intellectuelles différentes de celles de l’oral. Reste alors à savoir ce que font les élèves de cet outil pour penser. Pour répondre à cette question, Marie-Claude Penloup interroge les stratégies de travail dans les  brouillons et dans les « écrits intermédiaires » qui participent au cheminement d’une pensée en train de se  construire. L’examen des listes peut être la base d’une réflexion pour un apprentissage explicite de la raison graphique.

Histoires drôles

A partir du constat selon lequel « violer un code, c’est faire preuve de la connaissance du code » selon les termes de J. L. Calvet, Marie-Claude Penloup s’interroge sur la pratique de copies de blagues. Selon son hypothèse, les histoires drôles renvoient à un enjeu social très fort : le Moi doit montrer qu’il sait dire des blagues, qu’il sait faire rire en racontant des blagues et qu’il sait se faire apprécier des autres. Pour obéir à cette exigence d’extériorité, l’élève rédige un répertoire d’histoires drôles. La copie permet de  mémoriser les blagues car celles-ci ne peuvent faire rire que si chaque mot, qui s’agence de façon précise, est retenu. En règle générale, la mémorisation ne s’effectue que sur une partie du message initial, qui n’est greffé sur rien et qui, par conséquent, échappe aux lois de la mémorisation.

Marie-Claude Penloup note que très peu d’études sont consacrées à la structure des histoires drôles : pourtant, la concision, la chute et la polysémie induisent un travail interprétatif important. Elle souligne le fait que, malgré les embrayeurs de fictionnalité ludique, les histoires drôles, qui reposent souvent sur des stéréotypes sociaux dépassés, peuvent être dangereux à utiliser en classe. Elle note néanmoins l’intérêt de travailler en classe sur cette matière humoristique qui permet d’exercer sa mémoire et qui permet de jouer sur les mots, à distance de toutes les règles. Par exemple, une séquence sur le « jeu de mots » abordant l’homophonie, la polysémie ou le niveau de langues permet un regard réflexif sur les procédures formelles utilisées dans les blagues. L’histoire drôle, à la croisée de plusieurs genres, est un outil didactique qui permet de penser la langue.

Les « copieurs »

Marie-Claude Penloup dresse l’état des lieux de la « copie pour soi », définie comme une écriture non réactive à une consigne. D’après les résultats de son enquête, environ 60 % des collégiens pratiquent ce type d’écriture. Si certains, très rares, copient pour apprendre, la plupart copient pour le plaisir de conserver un texte apprécié ; par ailleurs, pendant la copie, ils interviennent sur le texte copié en introduisant des notes ans les marges. Cette pratique se révèle donc être à la frontière entre la lecture et l’écriture, comme un équivalent aux « écrits de lecteurs ».

Marie-Claude Penloup note également que la copie génère un plaisir corporel ; c’est pourquoi elle établit un parallèle entre le geste de la copie et l’inscription de tags ou de signatures qui marquent la volonté de s’inscrire corporellement en un lieu. La recherche d’une esthétique de la « belle page » ou de la « belle écriture » renvoie à cette même relation jubilatoire à l’écriture.

Selon l’enquête menée par Marie-Claude Penloup, la copie pour soi est une activité langagière permettant d’entrer dans la culture de l’écrit sur le mode de la jubilation. Elle relève donc d’un traitement didactique. Elle propose de s’interroger sur le rôle de l’écriture, à la fois comme copie et création, dans les stratégies d’appropriation d’un texte. Par exemple, la copie pour soi peut être le point de départ d’une interrogation sur le plagiat en art, point d’appui de la création.

Conclusion

Dans le domaine de la didactique de l’écriture, des pistes de recherche sont encore peu exploitées, parmi lesquelles les pratiques d’écriture extra-scolaire. Consciente des limites pédagogiques relatives à ces pratiques, Marie-Claude Penloup offre un éventail de pistes didactiques très fructueuses. Ses recherches mettent en évidence l’intérêt didactique à tenir compte des écrits extra-scolaires pratiqués spontanément par les élèves, au cœur du processus d’apprentissage.

 

Actions sur le document
contacts

Français : Langue et Littérature

Institut français de l'Éducation
19 allée de Fontenay
BP 17424
69347 LYON Cedex 07

Tél. 04 72 76 61 00
Fax 04 72 76 61 10

enseignementdufrancais@ens-lyon.fr

Espace Collaboratif

Accéder à l'espace