réseau thématique en 6ème
L'offre de lecture de l'enseignant (axée sur la comparaison de deux textes de littérature de jeunesse) amène à revisiter l'ensemble des rencontres avec les oeuvres au programme de 6ème.
Annie Portelette, enseignante associée INRP
Un texte en écho à La Petite Sirène d’Andersen (et autres textes de l’année)
1. Choix du texte :
Un marronnier sous les étoiles de Thierry Lenain, Syros, collection Dans un jardin
Raisons :
- Lors de l’étude collective du conte d’Andersen, mes élèves ont pensé, dit, échangé, écrit des commentaires très intéressants du point de vue du professeur et de leur point de vue aussi. Ainsi, ils eu un plaisir d’ordre « intellectuel » à comprendre certains aspects du conte, par exemple à identifier le genre (j’avais au départ présenté les deux premiers paragraphes, puis le troisième, sans autres indications) à partir de leur mémoire de lecteurs de contes (notamment à partir du portrait de la sirène qui a fait écho au portrait de Blanche-Neige), à trouver des liens internes au texte comme l’ascension symbolique de la sirène à travers les éléments ( à chaque sacrifice consenti, elle s’élève), les échos entre les bals, à identifier les motifs traditionnels du conte, une histoire d’amour avec un prince, et à en percevoir les écarts, « la deuxième histoire » et « la deuxième fin », celle de l’âme immortelle, les rapprochements possibles entre des aspects de la vie d’Andersen et celle de son personnage, celle du regard distancé porté à posteriori sur le dessin animé de Walt Disney ou des adaptations d’Andersen plus conformes au genre traditionnel du conte folklorique. Plusieurs thématiques ont également mobilisé fortement leur subjectivité, leur expérience ou leurs questions personnelles, celle de l’existence d’une âme en référence à une conception religieuse du monde, celle de l’amour possible ou non, et à quel prix, entre deux êtres appartenant à des « mondes différents », celle d’une conception de la vie faite de sacrifices et renoncements, celle de l’amour idéalisé de la sirène pour le prince, auquel ont été sensibles un certain nombre de filles.
- Mais aucun élève n’a prolongé sa lecture par un d’autres contes d’Andersen, bien qu’ils aient en leur possession un livre qui en contenait plusieurs. La documentaliste avait acquis trois albums sur différents contes d’Andersen, les a présentés aux élèves à une heure où elle reçoit une partie de la classe, sans succès. « Andersen, c’est triste » lui na-t-il été répondu. Pour leurs lectures privées les élèves font d’autres choix.
- A partir de là j’ai pensé au petit roman de T. Lenain, traitant aussi de l’âme immortelle d’une certaine façon, présentant un personnage de « passage » sur la terre, mais dans un univers d’auteur plus apaisé, plus serein, sans sacrifice. Il s’agissait aussi de montrer que cette question de la vie après la mort pouvait être présente dans un texte contemporain, en réponse aux élèves qui avaient écrit que La petite sirène était « un texte ancien car on parle pas autant de religion dans les livres aujourd’hui ».
- Ce texte de fin d’année pouvait aussi un écho à d’autres textes travaillés en sixième, les mythes notamment.
2. Préparation du professeur
Avant un premier contact des élèves avec le texte, je ne prévois pas de manière détaillée le travail qui sera mené en classe. Je fais, pour moi, une lecture « experte » du texte, je liste des axes possibles de lecture de manière à pouvoir accueillir les propos des élèves, à relancer, étayer, demander d’aller plus loin, de justifier, de retourner au texte, ….Le travail avec les élèves s’amorcera avec les matériaux de la classe, j’emprunterai leur cheminement, mais j’aurai un horizon précis. Tout ne sera forcément exploité.
Voici donc mes traces écrites, notes de travail (plus le surlignage du texte, les notes sur le texte)
- récit initiatique : le « passeur » est la petite fille. L initie l’adulte et elle même à une rencontre avec la mort, elle rend son humanité à J, il pleure, épreuve plus souffrance, interprétation des pleurs et du rêve de J adulte et transformation intime de J
- échos internes au texte : histoire de J / histoire de L, les parcours des deux personnages, l’âge de la rencontre avec la mort, 8ans pour les deux. J et L points communs / différences.
- Des explications de la mort. Explication scientifique : famille athée de Jules + leçon de la maîtresse sur le lombric. Explication mythique de Lola : son rêve.
- dimension symbolique du rêve, question du vrai, obstacle à prévoir du côté des élèves, interprétation du rêve.
- Les rêves de Jules (enfant, adulte) : le rêve de Lola
- Refus de Jules enfant devant la mort, actes de violence : expérience du chaton, destruction du portrait du grand-père, « j’aime plus pépé », combat à l’épée contre un ennemi invisible, « trou noir dans le cœur », impossibilité de pleurer pour l’adulte devant la mort, « cœur de pierre »
- Dire la vérité ?
- Titre : marronnier /Jules - étoiles/ Lola
- Organisation chronologique du récit : deux retour en arrière. Traces linguistiques : tps des vb, indicateurs de temps (aujourd’hui, ce jour-là) (il y a cinq jours)+ blancs du texte, cohésion temporelle par lieu (prendre le chemin qui descend vers la plage, p2, je suis assis sur la plage, p7)
- Echos externes vers d’autres txts : âme immortelle, religion comme explication du monde, mythes des txts fondateurs. à image de la littérature, « le mentir vrai » Aragon.
3. Dispositif pour lire le texte
· Première séance
- lecture magistrale, parti pris de manière à ce que tous les élèves partent à « égalité » avec une bonne lecture. De plus, cette lecture soude le groupe classe et le mobilise fortement sur la réception du texte. (20mn)
- Alors que les élèves ont envie de parler du texte, je demande un premier écrit individuel, dans la foulée, (20mn)
Consigne : Qu’est-ce que ce texte nous dit, à nous les lecteurs ?
Quelles questions vous posez-vous à propos de ce texte ? ou Posez deux ou trois questions sur ce que vous n’avez pas bien compris ou Posez deux ou trois questions qui peuvent faire réfléchir.
A quel autre texte, ce texte vous fait-il penser ? Expliquez pourquoi.
- A la fin de l’heure je ramasse tous les écrits.
· Travail du professeur
Je lis tous les écrits et je prends des notes, j’organise les remarques des élèves de manière à avoir des matériaux en tête pour les mettre en écho et animer un débat à l’oral.
Ce que le texte nous dit :
Anth : C’est un texte qui parle beaucoup des émotions, surtout la tristesse.
Nico : la mort, la douleur de perdre qq’un , la tristesse liée à la mort
Rencontres avec la mort : Jmy : grand-père, petite fille/ Mrine PM : trois morts, les mêmes, plus le chaton/ Ang : + les parents de la pte fille
A propos de la tristesse, pls élèves (Ths, Sgt, Mrine M, Linda) se sont posé une question : Pourquoi Lola ne pleure pas la mort de ses parents ?
Relation Jules-Lola :
Stph : Pourquoi accorde-t-il autant d’importance à la petite fille alors qu’il ne la connaît pas ?
Julie : Pourquoi aime-t-il tout de suite Lola ?
Maëva, Sabr : Pourquoi s’attache –t-il à Lola, pas à une autre / pas une autre malade ?
Hypothèse, réponse :
St : On a l’impression que la petite fille revit son histoire (pourquoi on a l’impression, pourquoi pas)
Sgt : Lola et Jules sont un peu pareils à cause de la mort d’un membre de leur famille.
Ths : La complicité entre deux personnes qui ont vécu presque la même chose. (à expliquer le presque)
Linda : Pourquoi ne raconte-t-elle pas son rêve à Jocelyne ?
Jules :
Jrme : Une idée importante du texte, c’est que Jules pleure quand il a huit ans, ne pleure plus après, et repleure. Pourquoi est-ce une idée importante ?
Ths : Jules est inaccessible aux morts
Manon : les faits importants : mort du grand-père, bataille à l’aveuglette avec l’épée, Jules casse la photo de son grand-père, le tronc du marronnier, la cassette laissée par Lola. à à expliquer
Seb : Pourquoi a-t-il enfermé le chaton dans le sac, a-t-il chassé les insectes qui couraient sur la fourrure, et jeté le chaton du haut de la falaise ?
Nico : L’intervention des parents après la mort de quelqu’un : que disent-ils aux enfants ?
Hypothèse/réponse :
Julie : Jules fait une sorte d’expérience avec le chat peut-être pour voir ce que deviennent les morts
Axel : Pourquoi veut-il prouver que son grand-père ne peut pas servir de terre. Pourquoi veut-il prouver cela puisque il est athée ?
St : On dirait qu’il a de la « haine » pour ses parents, comme s’ils y étaient pour quelque chose. Pourquoi les guillemets ?
Ang : Pourquoi il ne veut pas croire que son grand père est mort ?
Manon : Comment fait-il pour tenir le coup ? à cf Jérôme, il ne pleure plus ; Mohd : se bat à l’épée contre la mort.
Sgt : Pourquoi Jules parle-t-il à son grand-père mort ?
Maëva : Jules a des angoisses et des mauvais rêves
Ttan : Jules va jusqu’à se faire mal, jusqu’à l’épuisement après la mort de son grand-père
Hypothèse/réponse :
Momd : Quand Jules se bat avec l’épée il se bat contre la mort, après il devient infirmier pour continuer son combat.
Le rêve de Lola :
Linda : Elle dit son rêve, mais son rêve n’est pas un rêve, c’est la vérité.
Ths : Je n’ai pas compris quand elle dit c’est moi qui ai choisi d’être leur bébé.
Mrine PM : Ca fait réfléchir à ce que quelqu’un de notre famille va forcément mourir un jour. Il y peut-être quelqu’un dans les étoiles ?
Mohd : Elle va dans les étoiles après la mort, elle monte dans l’air en partant de la terre.
Le textuel
Ths : Est-ce une histoire fantastique ? un conte ?
Mrine PM : L’histoire de Lola est une histoire qui intimide. A expliquer
Axel : Pourquoi ce titre ?
Sgt : Pourquoi Lola meurt-elle à la fin ? vers la figure de l’auteur
Jtine : Pourquoi on n’explique pas pourquoi la petite fille ne pleure pas ? On ? Travail du lecteur
Etle : Pourquoi Jules pleure à nouveau quand Lola meurt ? Travail du lecteur
Julie : Pourquoi tout le texte est au passé et les deux dernière phrases au présent ? (Est-ce que Jules raconte l’histoire à ce moment-là ?) la chronologie du récit
Autres textes
Ø Sur 21 élèves, 11 ont cité La petite sirène, seul ou associé à un autre titre.
Explications données :
- Elles concernent essentiellement une recherche de points communs : on voit la vie après la mort, Lola vient d’ailleurs, comme la sirène, passe sur la terre et meurt en se transformant, Lola s’élève vers les étoiles comme la petite sirène vers l’air, Lola se transforme pour venir sur la terre et pour la quitter, Lola était une étoile, Lola était une étoile, elle se transforme en bébé humain parce qu’elle aime ses parents et elle retourne comme étoile à la fin, Lola observe ses parents de loin, du ciel, les aime aussitôt et décide de venir sur la terre, elle vit plein de choses et retourne dans les étoiles.
- Une seule explication s’appuie sur une différence entre les deux textes : Ca peut faire penser à La petite sirène car Lola comme la petite sirène vient d’un autre monde (les étoiles) et va y retourner mais ça se finit mieux car elle fait venir ses parents avec elle dans les étoiles, il n’y a pas de sacrifice.
Ø Des rapprochements avec d’autres textes sont faits, montrant ainsi que les échos particuliers que certains textes ont eu chez les élèves, sont cités :
- L’Odyssée pour la complicité entre Télémaque et Ulysse, comme celle de Jules et Lola, pour le pays des morts où Ulysse retrouve sa mère et des compagnons de la guerre de Troie / Laërte qui offre des arbres à Ulysse son fils comme le grand-père à Jules.
- Les Métamorphoses pour la transformation de Lola, étoiles-humain-étoiles / ce rapprochement associe aussi la petite sirène pour sa transformation de sirène en humain et en fille de l’air.
- La vengeance de la momie (E Brisou-Pellen) parce que c’est émouvant et bizarre dans les deux cas / pour le parrallélisme : le chacal quitte Khay pour reprendre sa forme de statue du dieu Anubis, Lola quitte Jules pour redevenir étoile, l’humain reste seul / grâce au chacal Khay comprend que la mort est sacrée et grâce à Lola Jules comprend que la mort peut s’expliquer sans faire peur / pour la tristesse de Jules et celle du chacal quand leur ami est disparu / l’amitié entre un humain et un dieu ou une étoile.
- Les mythes de la création pour : le texte parle de la mort, c’est une des grandes questions que se posent les hommes de toutes les époques / on voit une histoire d’un univers qui les hommes ne peuvent pas expliquer alors ils inventent une histoire.
· Deuxième séance en classe (2h)
Deux temps : un débat oral, puis à nouveau un écrit individuel.
Premier temps : Je redistribue aux élèves leur écrit, ils le relisent, ils avaient à relire le récit de Th Lenain et un débat oral s’instaure.
Rôle du premier écrit :
Mon rôle de professeur :
- j’initie le débat et l’organise en sollicitant un élève ou le groupe, en distribuant la parole, en faisant respecter la parole de celui qui s’exprime. Pour ce faire, je m’appuie sur les écrits, signifiants aux élèves qu’ils sont importants pour moi, que j’en ai été une lectrice attentive, même s’ils ne sont pas notés. Par exemple je commence en disant : « Nicolas, qu’est-ce que le texte dit d’important au lecteur selon toi ? », plus tard je relance : « Thomas, tu parles de la complicité entre deux personnes qui ont vécu, presque la même chose, peux tu expliquer la même chose et le presque » « Marine tu dis que l’histoire de Lola est une histoire qui intimide, peux-tu préciser ? »
- je suscite les interactions : « Setrag, tu de demande pourquoi Jules accorde autant d’importance à une petite fille qu’il ne connaît pas, qui s’est posé la même question ? Qui a une idée ? » « Axel se demande pourquoi ce titre ? Qui a une explication ? »
- je recadre en renvoyant au texte, en demandant des justifications, des recherches d’indices, à préciser à quel endroit du texte ils se trouvent …Mes interventions visent là à faire parcourir tout le texte, à faire tenir compte de la cohérence d’ensemble et la faire découvrir, la lecture des élèves ayant tendance à être fragmentaire. Ce qui est en jeu aussi c’est l’apprentissage de l’étayage de son propos par le texte, une des démarches de la discipline.
- je fais réfléchir au travail du lecteur : « Justine tu t’es demandé pourquoi on n’explique pas pourquoi Lola ne pleure pas, qui est ce on ? qui a à faire ce travail d’explication ? »
- grâce à la question de Julie, j’introduis une autre façon de regarder le texte : « Pourquoi tout le texte est-il au passé et les deux dernières phrases au présent ? ». La capacité à varier sa posture de lecture, sans en valoriser l’une plus que l’autre constitue un axe de la construction du sujet lecteur.
L’activité des élèves :
Les échanges ont mobilisé les élèves, et j’ai pu noter une grande qualité d’attention aux paroles des uns et des autres. Le problème pour moi, dans les débats oraux, c’est que le maximum d’élèves s’y engage, non les habituels preneurs de parole. Assez vite, un groupe d’élèves a été capable d’échanger entre pairs, mais d’autres interviennent moins facilement ou restent en retrait même s’ils sont attentifs, moins sûrs d’eux, moins familiers de ce fonctionnement « horizontal », n’osant pas toujours prendre de risque, encore un peu dans « la peur de se tromper, du regard des autres. Même si dans les cours de français j’ai établi d’autres manières de fonctionner, au collège l’enseignant n’a que quelques heures une classe, et d’autres professeurs instaurent des modes de fonctionnement différents qui interfèrent. Cependant, ayant en tête les écrits individuels, je peux solliciter tel ou tel élève qui a développé un point de vue différent, ou complémentaire, ou s’est appuyé sur d’autres aspects du texte, ou a une autre interprétation …. L’écrit premier fournit aussi des points d’appui à certains élèves pour se lancer à l’oral. S’étant tous déjà confrontés à la difficulté de verbaliser leur réaction première au texte, l’ensemble des élèves est plus réceptif à ce que dit chacun. Il arrive également, pour les élèves peu sûrs d’eux, en difficulté, que l’intervention « d’un bon élève », d’un leader, valide en quelque sorte ce qu’eux –mêmes ont écrit, du coup, ils osent se lancer.
Les temps forts des échanges :
- comment parler de la mort aux enfants : « si on est athée, on ne peut pas parler du paradis mais si on explique vraiment cela fait peur, ça traumatise, Jules est traumatisé », mais par ailleurs tous sont d’accord pour affirmer que les parents ne doivent pas mentir aux enfants. « C’est mieux si on est croyant », « Il faut parler avec ses enfants » « on peut expliquer petit à petit », « on peut raconter des histoires où des gens meurent », le texte est mis en résonance avec la subjectivité de chacun. Quelques élèves ont déjà rencontré la mort de grands parents et apparaît aussi un certain rôle du récit.
- Je demande alors comment Lola explique la mort ? « elle invente son rêve », « elle donne une explication qui ne fait pas peur », revient la question du vrai : « son rêve est inventé ou c’est vrai ? » « Ca se peut pas ! » « C’est un roman fantastique alors » « Elle fait peut-être semblant que c’est vrai pour Jules »
Julie intervient alors : « C’est comme une sorte de religion à elle », je demande d’expliquer : « elle a inventé quelque chose pour expliquer ce qu’elle ne comprend pas, comme cela elle n’a pas peur », Setrag lance alors : « c’est un mythe personnel ». Je demande d’expliciter et Setrag fait resurgir dans la mémoire de chacun le travail sur les mythes. Je récapitule en disant qu’effectivement le récit du rêve de Lola rend acceptable l’idée de la mort, donne une explication de la mort et de la naissance.
Nicolas revient sur les textes auxquels pouvait faire penser le roman de Th Lenain en ajoutant : « finalement presque tous les romans de cette année parlaient de la mort et racontaient ce qui se passait quand on est mort ». Bon nombre d’élèves approuvent. Une énumération collective explicative commence : La vengeance de la momie, avec la mythologie égyptienne, La petite sirène quand elle devient fille de l’air, l’Odyssée avec le royaume des morts, Orphée qui va chercher Eurydice chez les morts, les mythes et les grandes questions que se posent les hommes[1]. Je parle alors des livres, de la littérature qui est une manière de parler de toutes les grandes questions qui préoccupent les hommes, la mort, l’amour, le sens de la vie. C’est pourquoi des œuvres écrites dans l’antiquité peuvent continuer à intéresser et toucher des lecteurs d’aujourd’hui. Je m’appuis sur l’expérience que nous avons eu ensemble de la relation père-fils à travers Télémaque-Ulysse (L’Odyssée), Icare-Dédale, Phaéton-Phébus (Les Métamorphoses), où un élève avait conclu : C’est pareil que maintenant !. Je distingue le savoir scientifique qui au fur et à mesure qu’il se développe devient caduque et le savoir de la littérature qui ne vieillit pas car il parle toujours des questions essentielles pour les hommes.
Remarque : en proposant « Un marronnier sous les étoiles » en écho à La petite sirène, je n’avais pas anticipé cet aspect du travail de la classe, je n’avais pas pensé que les élèves revisiteraient ainsi les textes vus dans l’année.
La séance nous a mené sur des chemins intéressant mais l’écho à La petite sirène a été perdu. Le texte n’était peut-être pas bien choisi.
Deuxième temps : (30mn)
Retour à un écrit individuel : Après le débat oral, qu’avez-vous d’important à dire à propos du texte Un marronnier sous les étoiles ?
Ce deuxième écrit individuel, non noté, me permet d’une part d’apprécier ce que chacun retire des échanges oraux, comment il s’approprie le discours des autres, comment se modifient, s’enrichissent les regards sur le texte, les modes de lecture, comment se joue dans la classe le collectif et l’individuel. D’autre part, c’est pour moi un moyen de travailler sur la tension entre appel à la lecture subjective et l’objectif au collège de peu à peu construire sa lecture dans socialisation de l’espace scolaire. Enfin, se ressaisir autrement (grâce aux échanges avec des tiers qui introduisent soit du différent, soit de la distance) de ce qu’on a d’abord pensé, senti, seul, est un des aspects de l’apprentissage.
3. Quelques écrits d’élèves :
Sébastien : Cette histoire est triste car il y a quatre morts : la mort du grand-père, les deux parents de Lola et la petite fille Lola.
Les adultes et les enfants voient la mort différemment. Les adultes pleurent les morts et les enfants imaginent des histoires sur les morts, pour eux ils ne meurent pas vraiment. Par exemple, Jules pleure pour la mort de Lola, mais Lola ne pleure pas pour la mort de ses parents. Pour elle, elle va aller les rejoindre, elle fait un rêve, l’explication du titre les étoiles. Le marronnier représente Jules, il a planté un marronnier avec son grand-père.
Axel : Je pense qu’il y a beaucoup de d’émotion, le texte est surtout détaillé sur la tristesse de Jules quand son grand-père meurt. C’est quelqu’un qui apprend à avoir de la peine pour les morts. Le texte parle beaucoup de la mort, comme plusieurs textes de l’année. C’est une question importante pour les hommes le mystère de la mort.
Julie : La mort du grand-père.
Dans ce livre, on parle de la mort, de la souffrance quand quelqu’un qu’on aime meurt. C’est une grande question : « que devient-on après la mort ? ». On parle de la mort avec Jules, 8ans, qui vit la mort de son grand-père. Au début, il ne veut pas l’admettre, puis il est en colère contre son grand-père, peut-être parce qu’il se dit que son grand-père est mort trop tôt. Il a de la haine : il casse le tableau de son grand-père, il se bat contre la mort (invisible pour lui) et il tue un chat peut-être pour voir ce que deviennent les morts ou parce que le chat est né le jour de la mort de son grand-père (il croit qu’il est né parce que son grand-père est mort).Sa mère lui dit que les morts deviennent de la terre, ça ne le rassure pas. Elle aurait dû lui dire que tout le monde mourait, que c’était la vie.
Plus tard il deviendra infirmier peut-être à cause de cette mort qui l’a hanté. Il veut toujours se battre contre la mort. Il ne pleurera plus, il se refermera sur lui.
Lola.
Cette histoire parle aussi d’amour. Jules et Lola s’aiment tout de suite car ils ont vécu la même histoire : Jules et Lola avaient 8ans quand leurs parents ou grand-père sont morts. Lola n’a pas pleuré quand ses parents sont morts peut-être parce qu’elle a fait un rêve qui explique la naissance et la mort : on est dans les étoiles. Ce rêve est comme une mini religion qu’elle a inventée pour se rassurer, pour se rendre plus forte. Lola redonne une dimension humaine à Jules, il repleure, redevient sensible. Ceci est un message que l’auteur veut nous faire passer.
Le livre.
Dans ce livre, il y a un grand retour en arrière. C’est Jules le narrateur. Ce livre est peut-être une histoire fantastique (le rêve de Lola) ou une histoire de vie quotidienne car la mort est un problème de la vie de tous les jours. L’auteur a donné ce titre au livre car cela regroupe Jules et Lola (Jules avec le marronnier de son grand-père et Lola avec son rêve des étoiles). L’auteur a peut-être écrit cette histoire pour réparer la mort ou pour aider une personne à vivre la mort. Ce livre ressemble aux livres de mythes ou aux livres religieux car ils expliquent la mort.
Nicolas : Ce texte nous pose beaucoup de questions sur des sujets douloureux comme l’hôpital et la mort mais il nous montre qu’on peut allier l’amour dans ces situations. L’auteur a su également allier deux histoires d’amour différentes : celle de Jules qui semble qu’il n’aime plus son grand-père car il lui en veut de mourir, et Lola qui ne pleure pas à la mort de ses parents. Et également Jules se venge de la mort en devenant infirmier, il va la combattre.
Mohamed : Avec son rêve Lola explique les mystères de la naissance, de la vie et de la mort. C’est elle qui explique la mort à un adulte Jules. Ses parents n’ont pas su quand il était petit, il ne pleurait plus et avec la cassette de Lola il peut pleurer à nouveau.
Stéphanie : Il y a le rêve que fait Lola. Ce rêve signifie beaucoup pour elle. Elle sait qu’elle va rejoindre, selon elle, ses parents dans les étoiles. Ce phénomène psychologique lui sert sûrement à vaincre sa tristesse, à se battre contre la mort.
Jules veut savoir ce qui va arriver à son grand-père après la mort alors il fait la même chose avec un chaton. Il le tue, l’enterre et chaque jour il va voir si des bêtes comme les lombrics l’ont « mangé ». Il s’aperçoit que chaque jour, de plus en plus , des insectes le « dévorent ». En le jetant du haut de la falaise, il a peut-être penser qu’en le tuant son grand-père revivrait. Car le jour où son grand-père a été hospitalisé, les chatons sont nés. Comme une mort a donné une naissance, il se dit la mort du chat va redonner la vie à son grand-père.
Lola et Jules ont beaucoup de points communs. Lola revit l’histoire de Jules. Elle rencontre elle aussi la mort de quelqu’un de proche à 8ans. Ils se sont directement attachés l’un à l’autre à cause de cela. Grâce à Lola, Jules retrouve une sensibilité, un cœur plein d’amour. Ce titre : Un marronnier sous les étoiles, fait penser au rêve de Lola (étoiles) et au grand-père de Jules (un marronnier).
Thomas : C’est un livre triste : il y a plein de personnes qui meurent, le grand-père de Jules, le chaton, les parents de Lola, Lola. On ne sait pas si c’est une histoire réelle car le rêve est peut-être imaginaire, une histoire qu’elle a inventée juste pour expliquer la mort. Ca sert à elle pour la mort de ses parents et à Jules pour la mort de son grand-père et les morts de l’hôpital. Le titre est émouvant car ça rassemble Lola et Jules. Lola=étoiles, Jules =marronnier.
Manon : J’aime ce texte mais il est triste car au début quand le grand-père de Jules décède, l’écrivain fait ressentir la tristesse du petit avec des gestes et pas avec des mots ou des pleurs et ça c’est bien.
Si ce livre avait une fin plus joyeuse je l’apprécierai plus. A propos du rêve de Lola, j’aimerai sincèrement qu’il existe vraiment.
[1] Pour introduire l’étude des mythes, des textes fondateurs, j’avais demandé à chacun d’écrire deux ou trois questions que les hommes de toutes les époques se posaient. J’avais renvoyé ces questions retapées à la classe et engagé un travail de tri, de réflexion à partir de qui pourraient apporter des réponses. Ainsi étaient apparues des réponses scientifiques et des questions qui restaient des « énigmes ». Les religions pouvaient apporter des réponses selon certains. C’est ainsi que j’avais introduit la lecture d’un groupement de textes sur les mythes, avec comme approche des histoires que les hommes ont inventées pour répondre à des questions importantes qu’ils se posaient.