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Mémoire et palimpseste

La mémoire comme palimpseste en littérature pour la jeunesse, sous la direction de Noëlle Sorin :Editions Nota Bene, 2005 (145 pages).


Dans l’avant-propos, Noëlle Sorin pose succinctement le cadre de l’étude en le référant aux travaux de Gérard Genette sur l’intertextualité et à ceux de Paul Ricoeur sur la mémoire. Tout texte, quel que soit le lectorat qu’il vise, résulte de strates différentes renvoyant tout autant à un hypotexte sans cesse réécrit qu’à la mémoire de l’auteur et à celle du lecteur. Ce sont ces aspects de la création littéraire qu’explorent les huit contributions de chercheurs du Canada d’expression française regroupés dans le petit ouvrage.

 

Au fil des lectures, il apparaît qu’une première série d’articles interrogent plus particulièrement les lieux de mémoire. Ce sont les chronotopes du roman contemporain pour adolescents qu’analyse Claire Lebrun (Université Concordia) dans l’œuvre de Marie-Danielle Croteau, et en particulier « le système d’images prégnantes qui informe la représentation du temps et de l’espace dans ces romans de formation au féminin ». Claire Lebrun montre que la représentation du temps et de l’espace dans les romans du corpus appelle à une mobilité qui s’inscrit de manière contrastée et complémentaire dans un réseau d’images circulaires générées logiquement par la localisation dans l’île et dans une série d’images verticales (avion, oiseau, falaise…), le voilier se situant au croisement des deux systèmes d’images.

Elargissant le point de vue, Johanne Prud’homme (Université du Québec à Trois-Rivières) décrit l’omniprésence des références aux trois villes : Montréal, Québec et Trois-Rivières dans la représentation historique du territoire canadien-français tant dans le roman historique, que dans le conte, le roman d’aventures ou encore le roman sentimental. Cet état de fait conduit à privilégier une nouvelle approche des espaces, la représentation géocritique qui, à côté de l’imagologie (l’espace sous l’angle de l’altérité) et de la mythocritique (l’espace-mythe et mythèmes), met l’accent sur la pluralité des perceptions d’un même espace et ce faisant sur la subjectivité de la géographie. Tout d’abord, Montréal est l’îlot de référence : la métropole entretient avec Montréal une relation de transposition pure et simple : Montréal est Montréal, même si la toponymie révèle les trois moments de l’histoire montréalaise : Hochelaga (ville indienne), Ville-Marie (référence à la mission évangélique) et enfin Montréal (particularité topographique de Mont-royal). Les ouvrages pour la jeunesse mentionnent plus volontiers Ville-Marie ou Montréal comme « seuls et véritables espaces originaires de l’essence canadienne-française héroïque et religieuse ». L’analyse porte ensuite sur la représentation de Montréal insistant sur la fréquence des oppositions entre les descriptions urbaine et rurale de la ville, la topie s’installant par l’hétérotopie (Greimas). A cet égard, Montréal devient l’îlot de la différence. L’image de la ville avec les avantages du monde moderne en matière de communication, services… se double des dangers du monde urbain. Ainsi, la description de Montréal ne masque pas les désillusions de l’enfant qui a bien souvent quitté sa campagne dans l’espoir de mieux vivre dans une ville fantasmée. J. Prud’homme conclut son étude en montrant comment Montréal est tantôt un lieu d’une mémoire « dépoussiérée » quand il s’agit de montrer la ville comme le creuset d’une société en construction ; « c’est au contraire à un effritement de la mémoire qu’est associée la représentation du Montréal contemporain. »

Le patrimoine littéraire religieux est à son tour exploré : les biographies des saints peuvent-elles être perçues comme les palimpsestes d’œuvres hagiographiques plus anciennes ? C’est sous cet angle que Suzanne Pouliot (Université de Sherbrooke) explore les collections hagiographiques du milieu du siècle dernier. Après avoir défini le genre comme un mouvement qui émiette l’histoire, énuméré et déterminé les caractéristiques des collections qui furent florissantes jusque dans les années 1970, S. Pouliot isole deux niveaux du palimpseste dans la collection « Au service des jeunes » des Frères de l’Instruction chrétienne : la citation d’autres saints (Le curé d’Ars…) d’une part, et le discours idéologique de la congrégation qui critique les Francs-maçons et les protestants d’autre part.

 

 

Un deuxième groupe d’articles s’attachent à décrire le principe du palimpseste dans les procédés d’écriture des ouvrages pour la jeunesse. Hélène Guy (Université de Sherbrooke) examine le processus de création littéraire par le prisme du vivre/lire/écrire et définit la mémoire comme « le moyen privilégié pour passer d’un hypotexte particulier soit la grande nature, à un hypertexte hybride soit le récit de grande nature et ce, dans la problématique générale d’une poétique de récit d’expédition ». Deux étapes sont distinguées : la mémoire comme mode de passage du paysage à l’écrit et la mémoire comme mode de passage des lieux au récit. Car il ne s’agit pas de restituer un vécu, mais davantage ce qu’il en reste ; dans ce cas écrire équivaut à transmettre une mémoire.

A côté du récit d’expédition, le roman migrant fait l’objet d’une analyse attentive. Après avoir donné une typologie de ce genre spécifique, Noëlle Sorin (Université du Québec à Trois-Rivières) s’attache à préciser les différentes formes de mémoire repérables dans l’œuvre de Stanley Péan et ce faisant à établir le partage entre ce qui relève de la société d’accueil et ce qui relève de la mémoire migrante. S’appuyant sur la typologie mémorielle empruntée à Régine Robin qui différencie « mémoire nationale », « savante », « collective ou identitaire », et « culturelle », la distinction entre les différentes mémoires, en particulier « mémoire collective ou identitaire » et « mémoire culturelle », n’est pas évidente, N. Sorin convenant que ces deux mémoires apparaissent souvent mêlées.

Monique Noël-Gandreault (Université de Montréal) montre les liens d’intertextualité entre Tom Sawyer de Mark Twain et Les manigances de Marilou Polaire de Raymond Plante. L’hypertexte est une dérivation déclarée par l’auteur dans les préfaces. L’intérêt de l’article réside dans le fait que la connaissance et la mise en relation de l’hypertexte avec son hypotexte enrichissent le sens des deux textes. 

C’est également le propos de Flore Gervais (Université de Montréal) qui explore dans son article l’intertextualité déclarée entre Edgar Poe et Gilles Gauthier dans la série des Edgar le bizarre. F. Gervais décline deux niveaux d’intertextualité : les différentes stratégies narratives comme la reprise du genre, les allusions diverses dans le titre, dans les citations, l’exploitation thématique, la place du narrataire… et les ponts intertextuels, à savoir les coïncidences de dates, de lieu, d’objet… présents dans les deux récits. Le projet de G. Gauthier est d’introduire de la culture des adultes dans la littérature de jeunesse. Il reconnaît toutefois que cette série n’a pas remporté le même succès que ses ouvrages précédents construits à partir de faits socioréalistes.

Envisageant l’étude de l’espace sous l’angle du féminin, Lucie Guillemette (Université du Québec à Trois-Rivières) s’appuie sur une œuvre de Dominique Demers Ta voix dans la nuit, œuvre choisie parce qu’elle symbolise un nombre important de romans contemporains qui mettent en dialogue un récit en train de s’écrire avec des œuvres écrites dans un temps révolu. Le roman choisi tisse habilement trois aspects de la vie de la jeune fille, son quotidien, l’acte de lecture de la pièce de Rostand et l’acte d’écriture de l’héroïne qui, par les espaces discursifs qu’elle s’est ménagé, accède ainsi à l’expression la plus authentique de sa personnalité.

 

En dépit de l’intérêt certain que présente chaque article lu séparément, il apparaît que l’ensemble aurait gagné à présenter les contributions en fonction d’une définition plus précise de la mémoire. Comme nous l’avons vu, la mémoire est tour à tour envisagée comme mémoire historique, patrimoniale et nationale ; comme moyen de mettre en évidence une filiation générique ; (mais dans ce cas, s’agit-il de la mémoire du jeune lecteur ou de celle du critique universitaire ?) ; comme principe organisateur de l’écriture littéraire… Non corrélée à une problématique organisatrice, la multiplicité des points de vue, au lieu de contribuer à la diversité des approches, disperse et sans doute affaiblit le propos.

Toutefois, cet ouvrage constitue à n’en pas douter un aiguillon stimulant pour les recherches qui ne manqueront pas de se multiplier dans la direction ainsi tracée.

 

Christa Delahaye, CRELID, INRP

 

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