Bernard Lahire, Tableaux de Famille
Bernard Lahire s'intéresse dans Tableaux de Familles, Seuil, 1995, aux dissonances entre la famille et l'école, notamment en ce qui concerne l'accès au livre et à la pratique de la lecture.
Bernard Lahire, Tableaux de familles, Hautes Etudes, Seuil, 1995
Tableaux de Familles s’intéresse aux dissonances
entre la famille et l’école : Bernard Lahire, professeur de sociologie
à l’Ecole Normale supérieure de Lettres et Sciences Humaines, (http://socio.ens-lsh.fr/lahire/index.php)
s’interroge en effet
sur les différences qui structurent des familles apparemment similaires mais
dans lesquelles les enfants connaissent soit l’échec, soit la réussite
scolaire.
La place du livre, de la lecture, et de la parole du maître
à ce sujet sont un des fils conducteurs de l'étude. Le roman et la poésie sont
les deux genres les plus rencontrés par élèves et familles, ce dernier le plus
souvent au sein de la classe.
Dans ce contexte, le livre peut être objet, support de
pratique réelle ou fantasmée, enjeu de lecture perçue comme légitime (c’est-à-dire
avalisée par l’école souvent) ou non.
L’ouvrage Tableaux de Familles, très riche, ne peut
évidemment se réduire à cette seule problématique. Mais cette dernière montre
l’intérêt, pour l’enseignant de littérature, pour la classe de littérature à
l’école, de solliciter l’apport et
l’éclairage du sociologue.
Par ailleurs, si l’ouvrage s’adresse à des scientifiques
spécialistes, les entretiens, toujours passionnants, se lisent aussi «
comme un roman ».
Une culture de l’écrit, une place pour la lecture
De façon préliminaire, il convient d’admettre que l’école
est un univers de la culture écrite. Le
rapport à l’écrit y est prépondérant, il peut servir de filtre, de barrière,
aller jusqu’à « établir un clivage » même si dans les familles, c’est
parmi les pratiques de l’écrit finement observées par Bernard Lahire (écritures
gestionnaires domestiques, objectivation et planification du temps…) que se
place l’acte de lecture.
Il faut aussi rappeler que l’ordre matériel et moral
(ce dernier relayant les exigences du maître) permettant la culture de l’écrit
est aussi un ordre cognitif. C’est pourquoi les familles populaires dont les
enfants réussissent à l’école sont surtout celles qui proposent le même investissement cognitif qu’à l’école, même
si les modalités peuvent ne pas toujours sembler adaptées.
Méthodologie
La série de portraits s’attache à contextualiser le plus
possible les entretiens, rappelant par là, ni besoin était, qu’il s’agit
toujours d’êtres sociaux et non de statistiques.
Bernard Lahire retient la métaphore de la variation musicale
pour rendre compte de son travail. Les 26 entretiens concernent des enfants de
CE2 scolarisés en groupes scolaires de ZEP de la banlieue lyonnaise. Les
critères familiaux communs sont notamment le petit capital scolaire et
économique ; et ces enfants ont relativement réussi ou échoué à
l’évaluation nationale de CE2.
Préalablement aux entretiens, Bernard Lahire note que les enseignants s’intéressent à l’ethos
de l’élève - sa conformité aux attentes scolaires et pas seulement
ses capacités ni ses résultats.
Ils attendent en conséquence une relative autonomie : est
autonome celui qui a « intériorisé des schèmes mentaux et
comportementaux exigés par l’école, qui pourra ainsi s’approprier savoirs et
consignes pour progresser ». L’auteur rappelle ici que c’est lorsque les
deux espaces de socialisation de l’enfant, celui de la maison et celui de l’école, sont en phase, que le travail
scolaire est efficace (par exemple transmission de la capacité de silence,
d’attention, de prise en compte de consigne).
PORTRAITS DE LECTEURS
Une place pour la lecture
Quand l’enfant parle du livre, il y associe souvent des pratiques de lecture : « j’lis un p’tit livre » …tandis que du côté du parent, la relation au livre et à la lecture existe souvent, qu’elle soit réelle ou fantasmée : sans toujours se référer à la lecture, il évoquera la bibliothèque, les éditions France Loisirs, revendiquera l’amour des romans ou l’obligation de faire lire les enfants…
Des lectures légitimes
Quand le parent dit ne pas lire, il se justifie : fatigue du travail, contraintes du mariage (sic), problèmes oculaires…mais, surtout, les entretiens sont toujours marqués par un « effet de légitimité » : les romans à l’eau de rose, la lecture de l’horoscope par exemple, sont mis à distance tandis que sont surévaluées certaines pratiques ou certains supports de lecture (presse nationale, « gros » livres). Mais par le fait même de s’inventer parfois lecteur de lectures légitimes , le parent assigne un statut à la « culture écrite légitime » et l’utilise comme critère de distinction.
Un rang pour l’objet livre
L’espace familial fait une place à l’objet livre, notamment à l’ encyclopédie (Tout l’Univers le plus souvent). Souvent acquise pour être consultée par les enfants, elle peut faire cependant faire partie d’un patrimoine culturel mort, sans appropriation par les membres de la famille. C’est la remarque que l’on peut se faire lorsque l’on constate que l’encyclopédie est rangée sur la tranche, rendant son identification impossible. Les Editions France Loisirs sont aussi bien représentées sur les étagères, manifestant l’importance que l’on consacre au livre, ici aussi beau que gros.Enfin, le dictionnaire, revendiqué pour les enfants ou pour jouer au Scrabble, est un objet familial.
Le plaisir du texte
Différentes pratiques, témoignant souvent d’un réflexivité entre l’école et la maison, permettent de découvrir le plaisir de la lecture. Ainsi l’histoire du soir, démarche parfois mise en œuvre sur le conseil de la maîtresse, mais aussi la fréquentation de la bibliothèque, souvent déclenchée par une demande d’accompagnement scolaire de la part de l’enseignant. Le parent veille souvent à lire des livres avec ses enfants, ou à se les faire lire, y trouvant du plaisir, mais aussi la possibilité de « surveiller » les lectures. Une place est faite au roman et à la poésie, mais toujours en se démarquant d’une posture identifiée comme « intellectuelle » : le plaisir doit l’emporter.
CONCLUSIONS
Parmi les conclusions proposées, nous mettrons l’accent sur
celles qui illustrent la relation au livre.
Le mythe de la démission parentale.
Bien souvent les enseignants ignorent les logiques des familles. Les déductions qu’ils tirent de l’attitude et du travail de certains élèves sont fausses : l’école est importante pour ces familles et, plus particulièrement, il y a une place pour le livre et pour ce que le maître dit du livre, de la lecture, de la littérature.
Une place pour le monde parental ?
En éludant la réalité des distances sociales entre le monde
enseignant et le public scolaire, l’enseignement ne fait-il pas preuve d’une
utopie dommageable ? En cantonnant les parents à une place morale,
symbolique ou pratique, on ne touche pas aux fondements des écarts : ne
doit-on pas reposer alors la question de la place des parents à l’école ?
Mieux connaître la réalité cognitive et culturelle des élèves permet sans doute
de lever certains malentendus.
Un enfant lecteur
Dans ces familles parfois éloignées de l’institution
scolaire par bien des aspects, l’enfant lecteur est choyé ; il réclame des
livres, du temps pour lire, et affirme ainsi le précieux plaisir de lire.