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Lecture littéraire au cycle 3

Actes du colloque de la Direction de l'Enseignement Scolaire.

  Programme national de pilotage, Direction de l’Enseignement scolaire Bureau de la formation continue des enseignants, La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements, Actes de l’Université d’automne Clermont-ferrand – Royat 28 au 31 octobre 2002
« Les Actes de la DESCO »  rendent compte du  colloque organisé par la Direction de l’Enseignement Scolaire pour les responsables de la formation continue et pour les enseignants ; ils recueillent les contributions relatives à la lecture et à la culture littéraires dans les  nouveaux programmes de l’école primaire.
La première partie est consacrée à la lecture littéraire, ses définitions et ses enjeux ; la seconde partie est consacrée aux lectures en réseaux et la troisième partie soulève la question de l’auteur.

Première partie : La lecture littéraire, définitions et enjeux.

Francis Marcoin, professeur de littérature à l’université d’Artois, propose un article intitulé « Topographie et topologie du texte littéraire » dans lequel il tente de cerner, au plus près, la littérature pour en mesurer les enjeux.
Il fait remarquer combien il est difficile de définir précisément le champ occupé par  la littérature. D’un point de vue historique, l’expression « texte littéraire » renvoyait aussi bien à des textes religieux, juridiques, scientifiques que philosophiques ; de fait, l’expression servait à désigner tout texte faisant autorité. Le détachement de la littérature s’est effectué au nom du caractère artistique, alors revendiqué. En ce qui concerne la littérature de jeunesse, la séparation entre les publics  résulte d’une stratégie éditoriale. A la fin du XVIIIème siècle, les librairies d’éducation se spécialisent en proposant des contes moraux, des poèmes philosophiques ou des poèmes didactiques ; c’est ce modèle sage que va perpétuer l’école de la IIIème République, prenant le risque de se détacher d’une littérature plus récréative. Ainsi, Le Tour de France par deux enfants de G. Bruno vise à la fois l’éducation morale des enfants et l’acquisition de savoirs. Au XXème siècle, à un moment où l’art est subversif, perdure une telle littérature, destinée à la jeunesse, mais il devient difficile d’en faire une lecture littéraire.
Francis Marcoin explique alors que, dans le cadre scolaire, la lecture littéraire a eu, pour principe, de négliger le savoir ou l’émotion pour privilégier les problèmes spécifiquement littéraires, lesquels concernent plus la forme que le message. En témoigne, par exemple, l’exercice de la lecture méthodique au lycée. Selon cette conception de la lecture littéraire, l’intérêt se porte sur les démarches de résolution de problèmes : en outre, l’élucidation des mécanismes textuels permettrait à tous les élèves d’entrer dans le texte, quelle que soit leur culture. Dans cette perspective, le plaisir littéraire découle de la capacité à comprendre le texte, soit à en déjouer les ruses et les pièges ; l’émotion est censurée. Pourtant, il est une poésie qui joue sur les résonances affectives et ne pose pas de problèmes de compréhension ; comment, dès lors, la transmettre ? Par exemple, Le bateau ivre d’Arthur Rimbaud ou Choses du soir de Victor Hugo gardent une part de mystère et imposent une limite aux explications rationnelles ; ces poèmes n’en touchent pas moins leurs lecteurs, même si l’émotion qu’ils suscitent est difficilement évaluable et transmissible.  Faisant référence à Marcel Proust qui relie la lecture aux sensations et parle de la « couleur pourpre » de Sylvie pour en restituer la magie, Francis Marcoin  fait remarquer que de nombreux écrivains ne posent pas de problèmes de compréhension, mais des problèmes de cadence, de rythme. L’espace littéraire est un lieu où la langue est recomposée,  qui suscite des réactions d’adhésion ou de rejet.
L’émotion provoquée peut, certes, engendrer le silence, mais elle peut aussi engendrer la parole, dans le désir de partager avec autrui le bouleversement éprouvé à la lecture du texte littéraire. C’est contre la sidération et le silence que l’on a voulu désacraliser la littérature ; cette désacralisation est à comprendre comme une stratégie de médiation, et non de banalisation. Francis Marcoin explique que l’espace littéraire est un espace « sacré »,  comme le « templum », découpé arbitrairement par l’augure, dans le sens où il s’y effectue quelque chose en rapport avec l’espace religieux, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un espace où se construit du lien.  Faisant référence à Jean Starobinski et prenant pour exemple André Breton qui construit la littérature surréaliste sur la destruction de la littérature, Francis Marcoin fait remarquer que le sacré est lié au sacrilège dans la mesure où tous deux se fondent sur une croyance. Cette fonction « sacrée » de la littérature peut être comprise si l’on pense au rôle initiatique des histoires racontées aux enfants : celles-ci fonctionnent comme des rites de passage permettant l’entrée dans l’espace culturel d’une société. La littérature est alors le lieu commun où se rencontre un même groupe humain qui partage les mêmes références ; cet espace est saturé de valeurs dans la mesure où se sont transmis, au fil des générations, les mêmes textes littéraires avec variations et commentaires. En entrant dans cet espace littéraire, l’enfant découvre un discours particulier et fait, selon l’expression de Ronald Shusterman, une « expérience éthique », comprise comme une expérience de délibération et de choix.
Citant Henri Meschonnic qui pense qu’une idée trop exigeante de la littérature « tue la littérature » en en détournant les lecteurs ou en en dévoyant l’esprit, Francis Marcoin propose de s’ouvrir à la diversité  de la chose littéraire et à la diversité des approches.
Annie Rouxel, maître de conférences en littérature et didactique, centre d’étude des littératures ancienne et moderne, université de Rennes-II et IUFM de Bretagne, propose, dans  un article intitulé « Qu’entend-on par lecture littéraire ? »  de résumer les différentes approches théoriques de la notion.
Elle explique qu’il est difficile de donner une définition consensuelle de la lecture littéraire, notion à dimension idéologique, qui renvoie à un ensemble de pratiques, fondées sur une conception du lecteur et de l’élève. Pour comprendre le glissement qui s’est opéré des théories de la réception à la théorie de la lecture littéraire, elle met en perspective les différents théoriciens de la réception. H.R. Jauss a développé la notion d’horizon d’attente, qui permet de prendre en compte l’historicité du livre : chaque lecteur réactive le texte, en fonction de ses références culturelles ; ainsi, une œuvre perçue comme scandaleuse à un  moment donné de l’histoire peut devenir une œuvre conforme. L’horizon d’attente d’un lecteur est une donnée mobile et une œuvre littéraire a pour caractéristique de marquer un écart esthétique, une transgression par rapport à cet horizon d’attente. Wolfgang Iser, quant à lui, se concentre sur l’acte de lecture : il défend l’idée selon laquelle le lecteur prend part au jeu littéraire, en répondant aux sollicitations inscrites dans le texte.  Umberto Eco  définit la lecture comme une « coopération interprétative » du lecteur, lequel actualise les « blancs » du texte selon sa propre encyclopédie. Michel Picard analyse la lecture sur le modèle du jeu, sous la forme  « playing », qui renvoie aux jeux de simulacre, permet l’identification et s’enracine dans l’imaginaire,  ou sous la forme « game », qui renvoie aux jeux de stratégie et nécessite la distanciation.  En ce qui concerne le lecteur empirique auquel il fait référence, Michel Picard distingue trois instances : le « liseur » qui renvoie à la personne physique, le « lectant » qui renvoie à l’instance intellectuelle et le « lu », qui renvoie à l’inconscient du lecteur. Lors de la lecture, les trois instances sont mobilisées.
La mise en perspective de ces théoriciens conduit Annie Rouxel à redéfinir le fait littéraire dans ses trois composantes : l’auteur, le texte et le lecteur. En conséquence, le texte n’est pas un objet fini, ayant le sens voulu par l’auteur, mais un produit dynamisé par la lecture et l’œuvre elle-même est composée de l’ensemble des lectures proposées ; le lecteur, postulé dès la production, est actif lors de la réception et construit du sens, toujours pluriel, tant en synchronie qu’en diachronie.
La lecture littéraire, qui découle de ces théories de la réception, est définie, par Annie Rouxel, comme étant « le fait de lire littérairement un texte littéraire ».  Cela signifie que les textes littéraires –légitimés ou non- ont pour spécificité « d’instaurer un mode de communication particulier », de « créer leur propre référent » et de « s’inscrire dans le vaste ensemble de la production littéraire ». La lecture littéraire est une posture de lecture qui confère au texte son caractère littéraire : le lecteur, engagé dans une démarche interprétative, est sensible au fonctionnement du texte et à sa dimension esthétique ; il se permet de lire et de relire, en s’accordant des pauses, pour savourer le texte ; il maintient en tension distanciation par rapport au texte et investissement. Le plaisir esthétique, dimension essentielle à la lecture littéraire, résulte du texte et de l’activité déployée par le lecteur pendant la lecture.
Annie Rouxel dresse ensuite une liste de compétences nécessaires à la lecture littéraire : compétences linguistiques, encyclopédiques, logiques, rhétoriques, et idéologiques. En conséquence, le rôle de l’école apparaît fondamental : il s’agit de former, dès l’enfance, à la lecture littéraire qui, en stimulant la créativité et les démarches interprétatives, s’avère être un moyen de lutter contre l’échec scolaire et l’illettrisme.  
Catherine Tauveron, professeure des universités, IUFM de Bretagne, INRP,  propose un article intitulé « La lecture comme jeu, à l’école aussi ». Se situant dans la lignée de Michel Picard à qui elle rend hommage dans le titre de son article, Catherine Tauveron analyse les implications didactiques et pédagogiques des positions théoriques définissant la lecture comme un jeu.
Elle présente le jeu interactif entre le texte et le lecteur comme la possibilité, pour le texte et pour le lecteur, de gagner une vie nouvelle. Dans cette perspective, il est nécessaire de présenter aux élèves des textes qui s’imposent par leur densité, qui ont du jeu et des zones d’ombre ; ce sont des textes « résistants » où la confusion est orchestrée parce que l’opacité du texte permet l’activité du lecteur. Elle distingue deux formes de résistance textuelle : la « réticence » qui enraye les mécanismes de compréhension et la « prolifération » qui renvoie à la polysémie du texte et appelle l’interprétation. En conséquence, le lecteur doit être formé pour répondre à l’appel de coopération du texte, lequel est à parcourir « sans algorithme imposé ». Par ailleurs, le jeu interactif entre lecteurs permet de négocier le sens : la lecture est un lieu où se confrontent des hypothèses ; le plaisir de lecture est un plaisir en partage. Le maître, pour contrer le risque de délire interprétatif, reste le meneur de jeu, l’arbitre : il enseigne  les droits et devoirs du lecteur en montrant les limites de l’interprétation.
Catherine Tauveron clarifie ensuite la notion d’interprétation, utilisée dans les Instructions Officielles, mais souvent confondue avec la notion de compréhension : il ne peut y avoir interprétation que s’il y a choix entre plusieurs hypothèses possibles. En conséquence, le « débat interprétatif » dont parlent les Instructions Officielles, ne peut être pertinent que s’il est délibératif, c’est-à-dire s’il admet les lectures plurielles en sanctionnant les contresens : ce n’est pas parce qu’un texte littéraire est ouvert qu’il admet toutes les interprétations.
Catherine Tauveron propose, en annexes, des textes « résistants » et des dispositifs d’enseignement.
Pierre Sève, formateur à l’IUFM d’Auvergne, propose un article dans lequel il s’interroge sur la possibilité d’évaluer la lecture littéraire. Partant du paradoxe selon lequel l’évaluation suppose des critères transférables, des savoirs et des savoir-faire isolés alors que la lecture littéraire est singulière et systémique, Pierre Sève commence par une définition négative de l’évaluation de la lecture littéraire. Celle-ci ne peut être une instrumentalisation  de la littérature en fonction d’apprentissages calibrés, même si une telle évaluation facilite la programmation de séquences, car elle ne permet pas à l’élève de partir en quête d’un sens. De plus, une telle évaluation s’oppose à la mission de l’école primaire qui est d’éduquer au goût et au plaisir d’une lecture symbolique, ce qui exige une disponibilité d’écoute de l’enseignant pour entendre ce qui fait sens pour l’élève. C’est pourquoi les Instructions Officielles font une distinction entre les activités de lecture littéraire et les ateliers de lecture : les activités de lecture littéraire visent à construire  des pratiques culturelles alors que les ateliers de lecture mesurent des savoir-faire et des compétences élémentaires.  Pierre Sève propose ensuite sa propre conception  de l’évaluation de la lecture littéraire. Celle-ci doit tenir compte du fait que la lecture est, à la fois, un processus et un résultat : c’est-à-dire qu’il est nécessaire de s’interroger aussi sur la pertinence des processus mis en place par les élèves. Il propose une évaluation en trois niveaux : le premier niveau évalue les processus de construction du référent du texte, le second niveau évalue la prise en compte de la narration et de ses effets, le troisième niveau évalue la prise en compte des choix d’auteur. Il propose ensuite différents dispositifs d’évaluation, individuels ou collectifs, telles les reformulations ou les collectes de souvenirs de lectures ; enfin, il signale, par une comparaison avec le sport où l’on crée des situations artificielles par souci de la performance, la nécessité des ateliers de lecture qui permettent d’évaluer la pertinence des gestes de lecture.   En conclusion, il affirme la nécessité de faire la distinction entre l’espace public et l’espace privé, entre les compétences cognitives et les acquisitions culturelles.
Dans un second article intitulé « La lecture littéraire, voie possible de (ré)conciliation des élèves en difficulté avec la lecture », Catherine Tauveron expose son projet qui consiste à analyser le rapport entre la lecture littéraire et les élèves en difficulté. Son hypothèse de départ  est d’envisager la lecture littéraire comme une possibilité pour réconcilier les élèves en difficulté avec la lecture. Contrairement aux représentations les plus largement répandues selon lesquelles le défaut d’automatisation dans l’identification est la cause du manque de compréhension, Catherine Tauveron affirme que c’est un symptôme, non une cause : selon elle, les élèves en difficulté de lecture se bloquent sur des opérations de bas niveau  parce qu’ils les croient déterminantes dans la compréhension. Elle propose alors d’analyser les variables didactiques susceptibles de modifier les rapports à la lecture en assurant au lecteur une sécurité lecturale : la clarification des tâches, car c’est une reconnaissance du rôle de la métacognition dans la compréhension,  l’ouverture à un espace d’expression et de négociation de sens, car  c’est une reconnaissance de la pluralité interprétative.   Pour valider son hypothèse, Catherine Tauveron  analyse des entretiens menés dans des classes entières et dresse une catégorisation : dans une première catégorie, se trouvent les réponses des élèves qui considèrent la lecture comme une procédure conscientisée, liée à l’activité du sujet ; dans une seconde catégorie, se trouvent les réponses des élèves qui considèrent la lecture comme une mécanique, non conscientisée. Se fondant sur l’idée que les discours des élèves sont des indicateurs sur leurs difficultés, on peut postuler, pour les élèves de la première catégorie, une réussite potentielle en lecture et, pour les élèves de la deuxième catégorie, un échec potentiel. Les observations menées en classe ont permis à Catherine Tauveron de cerner les principaux obstacles à la compréhension : les postures de lecture,  l’absence de curiosité des élèves qui ne se posent jamais de questions sur le texte et les facultés d’anticipation qui les détournent  du texte au lieu de les confronter à la littéralité. Elle mesure ensuite les effets obtenus par l’introduction de ces variables : les élèves témoignent d’un intérêt plus grand pour les livres et d’une prise de parole sur les livres plus fréquente.  Elle propose alors une grille de lecture du cheminement des élèves, portant sur les positions des élèves dans les dialogues sur les textes et portant sur leur évolution langagière, afin de permettre à l’enseignant de noter leurs déplacements.

 Deuxième partie : Les lectures en réseaux.

Sur un sujet relatif à l’aide à la lecture, trois formateurs en IUFM, Bernard Devanne (Alençon), Pierre Sève (Auvergne) et Christine Campoli (Amiens) apportent chacun un éclairage spécifique.
Bernard Devanne concentre son analyse sur les apprentissages culturels. Il recommande de tenir compte du fait que l’élève développe ses compétences, en étant à la fois producteur et lecteur ; en conséquence, il est nécessaire de ne pas dissocier lecture et écriture. Par ailleurs, les apprentissages culturels définissent la manière dont l’élève construit son rapport aux objets culturels ; en conséquence, l’élève est perçu en tant que « sujet culturel » qui se construit dans la durée. Dans cette perspective, Bernard Devanne précise ce qu’il entend par la notion de  « pensée en réseaux » : c’est, pour lui, la possibilité de construire des liens ; cela implique qu’en amont l’élève ait pratiqué de multiples lectures de textes poétiques.
Pierre Sève, quant à lui, met l’accent sur la programmation de la mise en réseaux effectuée par le professeur. Celui-ci vise, à la fois, la posture de l’élève, qui se construit dans la durée,  et des objectifs d’enseignement ; il doit donc identifier ce qui peut être pensé en réseaux par les élèves et prévoir des dispositifs didactiques adaptés. Pierre Sève souligne qu’il est important de baliser le parcours de l’élève, lequel, à la différence du lecteur expert, ne mobilise pas spontanément sa bibliothèque intérieure.
Christine Campoli précise sa conception de la lecture en réseau qu’elle distingue de la pensée en réseau. Elle précise, en faisant référence à Genette, que la notion de lecture en réseau s’impose dès lors que l’on parle de texte littéraire puisque celui-ci est toujours en dialogue avec d’autres textes. Elle définit donc la lecture en réseau comme une démarche de construction de savoirs, spécifique à la lecture littéraire ; ce dispositif vise trois objectifs : le développement d’une posture spécifique de lecteur,  la structuration de la culture du lecteur et l’éclairage de zones d’ombre du texte. Le risque majeur auquel est confronté le professeur est celui de la constitution même du réseau : toutes les mises en réseau ne sont pas également pertinentes ; de plus, il ne faudrait pas oublier que les lectures s’inscrivent dans le temps et que la mise en réseau  est une construction contingente, et par conséquent modifiable.
Après avoir présenté la pensée en réseau comme une aide à la lecture, Bernard Devanne l’envisage comme une aide à l’écriture, dans la logique du projet d’écriture longue. Dans un tel dispositif, la constitution d’un espace culturel de référence prépare, graduellement, aux manières d’écrire propres à un genre considéré. Reprochant aux ateliers de lecture, tels qu’ils sont définis dans les Documents d’application, d’envisager les problèmes majeurs de l’écriture de façon décontextualisée, Bernard Devanne propose de répondre aux problèmes rencontrés dans l’écriture en soumettant à la relecture des élèves des textes organisés en réseaux. Dans cette perspective, les élèves identifient des problèmes d’écriture auxquels ils sont confrontés dans leur projet et interrogent les textes mis en réseaux en ciblant leur questionnement sur les problèmes d’écriture à résoudre. Un tel dispositif d’enseignement permettrait, selon Bernard Devanne, de construire une méthodologie de la résolution de problèmes.
Dans un article intitulé « Comment passer d’un livre à l’autre ? », Bernadette Gromer, formatrice à l’IUFM de Strasbourg, propose des exemples de mise en réseaux.

Troisième partie : La question de l’auteur.

Dans cette troisième partie relative à la question de l’auteur, Catherine Tauveron propose un article intitulé « L’enjeu de l’écriture littéraire à l’école » dans lequel est analysée la manière dont l’élève construit le concept d’auteur.  Selon elle, l’élève est à même de percevoir les intentions de l’auteur, et par conséquent, il peut avoir accès au principe de fabrication. Or, dans les classes, on enseigne plus des normes, selon un modèle industriel de la création, que des stratégies d’écriture où l’auteur opère des choix en fonction des effets sur le lecteur. Se fondant sur le fait que la lecture littéraire est un jeu  portant sur un texte qui a du jeu, Catherine Tauveron émet l’hypothèse selon laquelle l’élève est capable de construire un jeu pour un lecteur, c’est-à-dire de construire des problèmes de compréhension et d’interprétation. En considérant le lecteur comme un partenaire coopératif, l’élève adopte une posture d’auteur. Catherine Tauveron reprend la définition de la relation esthétique telle qu’elle est formulée par Genette, à savoir que celle-ci naît lorsque l’on reconnaît à l’auteur une intention artistique et lorsque le lecteur développe une attention esthétique. Dans le cadre de la classe, les échanges entre pairs ont une visée esthétique lorsqu’ils sont attentifs aux effets visés  par l’auteur et produits sur les lecteurs. Catherine Tauveron souligne le fait que l’intention artistique n’est pas toujours perçue, par manque d’attention ou de culture ; elle n’en considère pas moins, d’après les observations précises menées dans les classes, l’écriture littéraire comme le lieu idéal pour permettre aux élèves de construire une image de lecteur. Elle propose ainsi des procédures d’écriture qui puissent permettre à l’élève d’écrire en fonction d’un lecteur coopératif :  dans un premier temps, il rédige toutes les informations nécessaires et dans un second temps, il opère un gommage judicieux afin de laisser du jeu dans le texte, espace de jeu pour le lecteur avisé.
Aline Karnauch, formatrice à l’IUFM d’Orléans-Tours, consacre un article à la construction du concept d’auteur. Partant du constat selon lequel le concept d’auteur est perçu de manière floue à l’école primaire alors que le mot est évoqué, rituellement, dès la maternelle, Aline Karnauch propose des pistes pour permettre aux élèves de construire le concept d’auteur :  ainsi, la mise en réseau des textes d’un même auteur favorise la reconnaissance d’un  univers d’auteur. Par ailleurs, les élèves de l’école primaire sont, selon elle, capables d’adopter une posture d’auteur dans le cadre d’un projet d’écriture. En ce qui concerne la rencontre avec un auteur, Aline Karnauch souligne le fait que des questions anecdotiques risquent de parasiter le questionnement  des élèves sur l’écriture elle-même.
Bernard Friot, écrivain, auteur d’ouvrages pour la jeunesse, donne son point de vue sur la rencontre entre auteurs et enfants. Pour lui, c’est l’occasion de construire une identité sociale et  professionnelle. Il souligne comme il est difficile, pour un écrivain, de se situer dans la sphère sociale : ni études ni diplômes ne valident ce qui n’est pas vraiment reconnu comme un métier ; dans les représentations dominantes, l’écrivain est inspiré, il ne peut vivre sans écrire et  il écrit sans se soucier de son lectorat ou des questions mercantiles. Les rencontres avec les enfants permettent à l’écrivain de se situer par rapport à tous ces discours. C’est aussi l’occasion pour lui de nourrir son écriture : les enfants sont en attente d’histoires et les rencontres se prolongent par d’autres histoires, enrichies par l’imaginaire enfantin. Bernard Friot considère que la rencontre véritable a lieu avec le texte et que la rencontre entre des auteurs et des enfants a du sens si elle permet de poursuivre ce dialogue.
A cet ensemble d’articles, Catherine Tauveron apporte en conclusion quelques éléments de réflexion en vue de la formation des professeurs. Le premier point de sa réflexion porte sur le malentendu qui consiste à se servir de la littérature pour l’instruction et l’édification des élèves ; c’est, pour elle,  un détournement, même si la littérature pose des valeurs. De ce malentendu découle le fait que le récit littéraire est abordé d’abord par son contenu, comme s’il était une copie du monde, sans tenir compte de sa littérarité. La poésie, par contre, dont le statut artistique s’impose d’emblée, entraîne une posture de lecture spécifique, même si cela s’effectue au prix d’une marginalisation. Catherine Tauveron recommande alors comme objectif majeur de la formation des professeurs de développer l’attention esthétique. Le deuxième point de sa réflexion porte sur les conditions à remplir pour construire un nouveau modèle de lecteur. Partant du constat que la littérature de jeunesse est un champ peu connu des professeurs, elle propose de les inviter à explorer ce champ, en offrant un éventail de dispositifs de présentation et de questionnement des textes, à mettre en réseaux. Par ailleurs, elle recommande de choisir des textes littéraires qui posent des problèmes de compréhension et d’interprétation et de leur fournir des outils commentés pour les lire. Ensuite, elle souligne la nécessité d’apprendre aux futurs professeurs à  se mettre eux-mêmes en situation de lire littérairement les textes avant de se placer dans la perspective de l’enfant lecteur. Enfin, elle juge utile de suivre le cheminement des élèves et d’évaluer les processus mis en œuvre. Pour Catherine Tauveron, la formation des professeurs à l’enseignement de la littérature doit passer par l’abandon des pratiques rituelles.

Compte-rendu établi par Martine Marzloff, chargée de recherche, INRP.
 

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