Penser les choix scolaires
Résumé de trois articles de la Revue française de pédagogie "Penser les choix scolaires" par Sophie Delvallez enseignante associée à l'IFE
L’objectif du dossier figurant dans le numéro 175 (avril-mai 2011) de La Revue française de pédagogie (noté RFP) est d’interroger certains des impensés dans l’analyse des choix scolaires.
Les résumés de trois des articles ici retenus ne concernent pas les choix d’orientation des lycéens de lycée professionnel après le bac, mais les choix d’orientation scolaire (collège et lycée) des élèves issus de milieu ouvrier. L’intérêt de ces articles est d’ouvrir une réflexion, par analogie, entre les effets de la démocratisation de l’enseignement liés à la massification des élèves accédant au secondaire dans les années soixante, (baby boum provoquant la fin de la sélection pour l’entrée en Sixième avec la suppression du concours d’entrée au lycée ou collège) et certaines des problématiques actuelles liés à la massification de l’entrée à l’université pour des lycéens qui choisissaient traditionnellement l’arrêt de leurs études dès (ou avant) la fin du lycée
L’élargissement des possibilités de choisir (son établissement, son orientation, sa filière, ses options…) a contribué à différencier les scolarités (Poullaouec & Lemêtre, 2009), laissant une place plus importante aux familles dans le déroulement des parcours et trajectoires scolaires.
Or, depuis quelques années, cette dynamique de multiplication des choix scolaires s’accélère, ce qui n’est pas sans effet sur les inégalités induites par cette offre de grande ampleur.
Choix du destin et destin du choix
Auteur Séverine Chauvel
Cet article permet de revenir sur l’auto-exclusion des classes populaires de la voie générale de l’enseignement secondaire, question qui est traitée, sous des angles différents, à partir des enquêtes INED de 1962 et 1973.
Si les choix d’orientation faits par les familles contribuent à creuser les inégalités scolaires, c’est surtout parce que les classes dominantes résistent mieux aux jugements de l’institution. « Les parents de niveau culturel peu élevé sont totalement dépendants des agents du système scolaire, dont les avis ont chance d’avoir valeur d’injonctions et de jugements absolus ; au contraire, les parents de niveau culturel élevé dont les sources d’information sont multiples, peuvent relativiser les avis de l’école et les nuancer ou les neutraliser. » (Chamboredon & Bonvin, 1973, p. 156). On ne trouve guère l'idée que les transformations d'ordre pédagogique pourraient réduire les inégalités sociales de réussite scolaire.
L’auto-exclusion populaire apparaît de moins en moins spontanée et semble au contraire de plus en plus consécutive à des difficultés scolaires non surmontées dans les premiers apprentissages (Poullaouec, 2010). Les travaux insistent aussi sur l’anticipation des risques d’échec et sur le rôle du groupe des pairs, mais en montrant simultanément à quel point les parents fondent leurs espérances ou leurs déceptions sur les résultats obtenus, et comment le point de vue des enfants peut s’imposer à celui des parents. Tout se passe comme s’ils ajustaient maintenant leurs ambitions aux évaluations scolaires du moment, au fur et à mesure de l’avancement de leur parcours.
Comment s’articulent les inégalités d’acquisition scolaire et d’orientation? Relations ignorées et rectifications tardives
Auteurs : Sylvain Broccolichi et Rémi Sinthon
Puisque les travaux de sociologie scolaire ont pris appui sur deux enquêtes de l’INED des années soixante, il convient de les reprendre aujourd’hui avec une posture critique, car elles ne sont pas sans poser problème du point de vue scientifique. En critiquant les résultats de ces enquêtes, les auteurs espèrent comprendre les raisons des dissonances entre la théorie de la sur-sélection et celle de la sous- sélection des élèves des milieux populaires.
La critique porte sur cette conclusion de l’INED: « l’inégalité sociale de réussite a moins de conséquences que l’inégalité de comportement » (Clerc, 1964). Clerc parle ici des comportements d’orientation, qu’ils soient le fait des familles ou des professionnels de l’école
En s’appuyant sur le panel des élèves entrés en Sixième, les auteurs vont privilégier les diplômes des parents plutôt que leur profession. Ils ont en effet vérifié qu’en opérant ainsi, les différenciations sociales relevées au niveau des performances et des orientations des élèves étaient plus marquées. On saisit alors le fait que les élèves dont les acquis étaient proches à l’entrée en Sixième sont exposés à des risques d’échec ultérieur très inégaux selon le capital scolaire familial, même quand la comparaison porte sur les fractions sélectionnées d’élèves qui ont pu accéder en Seconde GT, en Première ou en Terminale.
En effet, les paradoxes théoriques pointés précédemment disparaissent dès lors que l’on sait que les performances des élèves évoluent inégalement en fonction des conditions sociales et pédagogiques du déroulement de leur scolarité
Le fait que, pour les lycéens des familles à faible capital scolaire, les résultats observés au baccalauréat se situent en dessous de ce que laissaient présager leurs performances antérieures à l’orientation n’a donc plus rien de paradoxal, si l’on n’oublie pas l’existence d’une évolution différentielle des performances scolaires.
L’explication des inégalités scolaires par le manque d’ambition ou la prudence excessive des familles d’élèves dans les milieux populaires reste encore très présente dans les médias, les discours publics et certains travaux. Ces familles sont encore présentées comme responsables d’une auto-sélection qui empêcherait les élèves de « tenter leur chance » dans les filières sélectives. Il est devenu pourtant difficile d’ignorer qu’au contraire ils y échouent plus souvent, ou autrement dit, qu’ils y tentent leur chance en vain plus souvent que les autres ; et maints travaux ont mis en lumière la mobilisation souvent désarmée de leurs parents (Beaud, 1994, 2002 ; Poullaouec, 2010 ; Terrail, 2002).
Par-dela les choix scolaires : les rapports de classe.
Auteur Tristan Poullaouec
Il s’agit ici de replacer ces transformations scolaires dans le contexte des recompositions de la société française.
Les enjeux théoriques concernant l’analyse des choix scolaires et l’usage même de la notion de choix restent donc importants. L’heure semble-t-il n’est pas à dresser un bilan portant sur des questions déjà anciennes, mais à relancer des débats et à réinterroger les catégories utilisées par les chercheurs pour aborder ces choix. Au-delà du simple enjeu scientifique et disciplinaire, il apparaît nécessaire pour la sociologie – et, bien entendu, pour la recherche en éducation – d’adopter une posture critique vis-à-vis d’un discours politique faisant du libre choix des familles un idéal à atteindre